Nouvelle démonstration de force pacifique du peuple algérien: "Vous prolongez le mandat, nous continuons le combat !"
- Publié le 16-03-2019 à 07h36
- Mis à jour le 18-03-2019 à 10h13
Les manifestations de contestation du pouvoir se poursuivent. Le quatrième vendredi consécutif de mobilisation fut un succès. Pour le politologue Riadh Sidaoui, l’armée va se ranger au côté du peuple.
"Vous prolongez le mandat, nous continuons le combat !" la pancarte portée par un adolescent claque comme un défi. Pour ce quatrième vendredi de mobilisation générale, ils étaient des millions, dans tout le pays, à battre le pavé pour crier dans la ferveur leur rejet du régime et leur soif de liberté.
À Alger, c’est l’apothéose ! Dès 7 heures du matin, des centaines de manifestants venus de Kabylie lançaient leur célèbre cri de ralliement "pouvoir assassin ! Ulac smah ulac (pas de pardon)". Vers 11 heures, les Algérois ont envahi l’esplanade de la Grande Poste, dans le centre de la capitale, avant le début des manifestations prévu après la grande prière hebdomadaire. Deux heures plus tard, le centre de la capitale est paralysé par une marée humaine, dans une ambiance de gigantesque kermesse. Des fleurs, des chants, de la joie, des sourires.
Dans la foule, les slogans rivalisent de créativité. "C’est le vendredi du départ !", proclame une pancarte portée par une fillette de six ans juchée sur les épaules de son père. Salim, ingénieur de 32 ans, est euphorique : "Mais qu’attendent-ils pour partir ? Ils n’ont pas compris qu’on ne peut pas construire un bateau neuf avec du vieux bois."
Grandes manœuvres de l’ombre
Comme pour conjurer la répression, les manifestants scandent : "Armée, peuple, khawa, khawa (frères)". Un peu partout dans le pays, les scènes de fraternisation avec la police virent parfois à la dissidence. Comme à Sétif (290 km au sud-est d’Alger) où un policier qui fustigeait le pouvoir a été porté en triomphe par la foule.
À Alger, les riverains de plusieurs quartiers ont offert aux manifestants de grands plats de couscous avec du petit lait ; d’autres, des plateaux de dattes ; un camion distribuait des bouteilles d’eau. Dans cette "révolution du sourire", même le football, principal "loisir" des jeunes avec la mosquée, est relégué à la marge. Jeudi, le grand derby algérois entre le MCA (Mouloudia club d’Alger) et l’USMA (Union sportive musulmane d’Alger) s’est joué devant des gradins vides, boycottés par les supporters des deux clubs mythiques. "La lutte d’abord, le foot après la victoire !", résume un supporter de Bab El Oued, le grand quartier populaire de la capitale.
Dans l’ombre, l’heure est aux grandes manœuvres. Faute de représentants pour porter les revendications du mouvement, les manipulateurs de l’ombre ont fait circuler sur les réseaux sociaux des listes de "coordinateurs", chargés de négocier avec le gouvernement. Un "parachutage" qui a été vivement dénoncé par certains des concernés eux-mêmes. Comme Djamila Bouhired, devenue, depuis un mois, la coqueluche des manifestants. Dès son arrivée, hier, sur l’esplanade de la Grande Poste, l’icône de la révolution algérienne a été saluée par une ovation. Dans un émouvant "appel à la jeunesse en lutte" publié jeudi, elle avait mis en garde contre ceux qui tirent les ficelles derrière le rideau : "Ne les laissez pas voler votre victoire !" Son verdict contre le président Bouteflika est sévère : "Malgré la colère du peuple qui l’a rejeté, il s’accroche encore au pouvoir, dans l’illégalité, le déshonneur et l’indignité."
"Agression contre les Algériens"
Invité surprise du mouvement, Emmanuel Macron, qui a salué "la décision du président Bouteflika qui signe une nouvelle page", en a pris pour son grade. Pour Djamila Bouhired, qui dénonce des "liens pervers de domination néocoloniale" entre Paris et Alger, "le soutien du président français au coup d’État programmé de son homologue algérien est une agression contre le peuple algérien, contre ses aspirations à la liberté et à la dignité".
Dans la rue, la lutte continue dans une ambiance de gigantesque kermesse. Près de la Grande Poste, un saxophoniste joue l’hymne national, repris par des milliers de voix. Les slogans et les pancartes rivalisent de créativité, avec cet humour algérien bien particulier. "Je n’ai jamais vu une telle discipline, s’étonne un marchand de plantes d’ornement installé près de la Grande Poste. Pas un pot n’a été renversé ; pas une fleur n’a été piétinée !"
Vers 17 heures, la marée humaine commence à se disperser. Comme à la fin de chaque manifestation, des groupes de jeunes, munis de sacs-poubelle, nettoient les rues. Pour la psychanalyste Karima Lazali, "c’est comme si la population cherchait à se constituer en société civile véritablement, à réhabiliter un collectif citoyen et vivant. Ce qui a toujours été empêché par le pouvoir politique. La société civile se constitue peut-être pour la première fois d’une façon inespérée".