En Algérie, Bouteflika n'a pas fini de voir la contestation grandir
Après un mois, les Algériens n'en démordent pas: l'avenir, c'est sans Bouteflika au pouvoir
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- Publié le 20-03-2019 à 16h00
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De plus en plus de groupes font entendre leur voix contre le "système" Bouteflika.Réponse du berger à la bergère. Quelques milliers d’étudiants ainsi que des professionnels de la santé ont manifesté mardi à Alger et dans d’autres villes du pays contre le "système" Bouteflika. Le président algérien avait confirmé la veille au soir qu’il resterait au pouvoir après le 28 avril, terme légal de son quatrième quinquennat. L’occasion choisie, le jour anniversaire des Accords d’Évian (le 19 mars 1962) qui avaient mis fin à la guerre d’Algérie, était détournée dans les rues, devenant le "début de changement du système". Si l’on en est encore loin, quelques enseignements peuvent déjà être tirés.
La contestation populaire a le vent en poupe
Quatre semaines après le début de la mobilisation, la contestation populaire du pouvoir n’indique aucun signe d’essoufflement, bien au contraire. En outre, le caractère pacifique des manifestations semble jouer en faveur du mouvement. À l’instar du clan Bouteflika qui s’accroche encore au pouvoir, les contestataires occupent l’espace public et ne sont pas près de le lâcher : la jeunesse qui constitue la force motrice de ce mouvement populaire sent qu’elle a le vent en poupe depuis qu’elle a obtenu le classement vertical de l’idée d’un cinquième mandat présidentiel (et malgré la prolongation du quatrième). Alors, que peuvent faire les autorités face à ces marées humaines qui ont su canaliser leur ras-le-bol en de paisibles et joyeux défilés ? Que faire sinon égrainer les promesses en espérant leur adéquation finale aux revendications clamées dans les rues du pays ? L’alternative à une démission pure et simple, soit la répression par la force, paraît loin d’être à l’ordre du jour tant l’armée et le peuple semblent pour le moment jauger leur degré de "fraternité" (une union affichée tant par l’une que l’autre) et tant d’autres corps de la société s’affichent contre le "système" en se réclamant du "peuple".
Les acteurs de la société embrayent
De plus en plus de voix s’élèvent contre le système, dans la presse, dans le monde économique et social. Lundi, treize syndicats indépendants ont refusé d’appuyer la formation du gouvernement de Nordine Bédoui au motif que le peuple est contre. "Nous ne tiendrons pas de discussions avec ce système, nous appartenons au peuple et le peuple a dit non au système", a dit Boualem Amora, dirigeant d’un syndicat de l’enseignement. Depuis le début du mouvement, des juges avaient refusé d’observer l’élection présidentielle prévue le 18 avril, et finalement annulée. Des magistrats avaient aussi défilé et observé une grève de plusieurs jours.
La révision constitutionnelle : une vieille recette
La prolongation du quatrième mandat présidentiel pour tenir une "conférence nationale", censée déboucher sur une nouvelle Constitution, a confirmé le rejet par le peuple de ce "système corrompu". C’est presque une tradition : quand le pouvoir est dans les cordes, il propose de réviser la Constitution. La loi fondamentale est ainsi devenue une variable permettant, telle une soupape de sécurité, de faire évacuer la pression de la rue. Depuis l’Indépendance en 1962, l’État en a connu dix versions différentes. La révision de 1988 a fait place à un nouveau texte l’année suivante, et celle de 1996 a été révisée en 2002, 2008 et 2016 (ces deux dernières pour autoriser Bouteflika à se représenter). "Le régime politico-militaire algérien a le don de se régénérer en permanence", constate l’écrivain Boualem Sansal. En donnant l’apparence de la légalité mais en dehors des balises de la loi. Pourtant, "rien dans la Constitution actuelle n’autorise ni le report de l’élection présidentielle ni la prolongation du mandat", assène le juriste Rostane Mehdi, directeur de Sciences Po Aix-en-Provence, dans une tribune publiée mardi dans Le Monde.
Un processus politique aux multiples inconnues
Quand bien même la conférence nationale déboucherait sur une ouverture démocratique telle qu’elle est réclamée par les manifestants, rien ne dit encore que celle-ci serait préservée ensuite. Après le "printemps" de 1988, qui avait donné lieu à une nouvelle Constitution et à un processus électoral, l’armée avait décidé d’interrompre celui-ci à l’issue du premier tour de législatives remportées haut la main par le Front islamique du salut (Fis) : cela sonna le début d’une sanglante guerre civile. Rien ne dit que ce scénario ne pourrait pas se répéter. Tout repose encore une fois sur l’attitude des généraux, qui seront soucieux cette fois de ne pas créer les conditions d’un nouveau traumatisme, encore vivace chez les plus anciens.