Le peuple algérien a trouvé un inattendu mais précieux allié
- Publié le 22-03-2019 à 12h02
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Réputé pour son allégeance au pouvoir politique, le corps de la magistrature s’est rebellé."Nous sommes fiers de soutenir le mouvement du peuple algérien. Celui qui ne peut défendre son indépendance ne peut défendre la liberté d’autrui !" Drapeau national sur les épaules, entouré d’une forêt de caméras et de micros, Mohamed El Hadi Chalabi, procureur de la République d’Alger et porte-parole des "magistrats libres", lit la déclaration sur un ton solennel. Malgré le mauvais temps qui s’est invité depuis mercredi soir, le préau du palais de justice d’Alger était envahi, hier matin, par la foule des grands jours. Cette fois, il ne s’agit pas d’un rassemblement de solidarité avec un détenu jugé pour délit d’opinion comme le tribunal en a connu des dizaines, mais d’une fronde des magistrats, insurgés contre leur hiérarchie.
Avec l’entrée en scène des magistrats, la protestation populaire vient de faire un pas vers l’indépendance de la justice. Au-delà de la solidarité avec le mouvement qui rejette le régime du président Bouteflika, la colère des juges a été déclenchée par les menaces récurrentes de Tayeb Louh, le Garde des sceaux, et ses irruptions intempestives dans des procédures en cours. Dernière en date, la suspension d’un juge qui a refusé de condamner en flagrant délit des manifestants arrêtés vendredi dernier.
Une génération rebelle
Sous un tonnerre d’applaudissements, Mohamed El Hadi Chalabi poursuit : "N’ayez pas peur ! Je vous demande de refuser toute injonction, toute orientation dans le prononcé de vos verdicts ; la loi et votre conscience restent vos seuls repères."
Bras répressif du pouvoir, le corps de la magistrature a toujours donné un caractère légal à des manœuvres politiques. Depuis quelques années, il est également décrié pour une sulfureuse réputation de corruption, que même le président Bouteflika avait dénoncée au début de son règne, en 1999. Avec leur entrée en rébellion, les 6 200 magistrats algériens peuvent relever la tête, grâce à la fronde d’une nouvelle génération de robes noires qui refuse de courber l’échine. Comme Marzoug Saadeddine, 34 ans, membre du Club des magistrats, et conseiller à la cour de Oued Souf ; en 2013, il avait observé une grève de la faim pour exiger l’indépendance de la justice. Un ténor du barreau d’Alger témoigne : "Je l’ai rencontré dans un procès sensible, à Ouargla (située 770 km au sud d’Alger) où des notables étaient impliqués dans une sombre affaire de corruption et de détournement de fonds ; il avait instruit l’affaire avec une rigueur qui mérite le respect. Avant le verdict, il a été muté et remplacé par un magistrat-maison !"
"Supplétif du ministre"
Depuis ce jour, le combat solitaire de Marzoug Saadeddine a fait tache d’huile. Calme mais déterminé, il annonce les prochaines étapes : "Nous ne voulons pas d’une justice politique aux ordres. En plus de la solidarité avec notre collègue suspendu, nous exigeons maintenant la démission du ministre de la Justice ! Le Conseil supérieur de la magistrature doit être présidé par un magistrat élu, et non pas un politique." Considéré comme un complice de la chancellerie, Djamel Laïdouni, président du Syndicat des magistrats, en a pris également pour son grade. "Il a été le supplétif du ministre ; il doit partir avec lui, rajoute un autre magistrat. Nous sommes en train de créer un nouveau syndicat, autonome, plus conforme aux exigences d’une justice indépendante."
À la fin du rassemblement, Me Abdelmadjid Sellini, le bâtonnier d’Alger, a convoqué une conférence de presse. "Nous devons nous incliner devant ce peuple, qui a suscité l’admiration du monde pour son civisme exemplaire", déclare-t-il avec emphase, avant de prononcer un violent réquisitoire contre le clan présidentiel, qu’il a pourtant servi avec zèle. "Qu’il arrête son cirque ! s’emporte un jeune avocat. C’est bien lui qui s’est prosterné devant Bouteflika, dans un indigne baisemain. N’a-t-il pas offert, lui aussi, un cadeau à son poster encadré ?"
Dans l’après-midi, la photo de ce geste d’allégeance digne des monarchies orientales a été postée par un journaliste sur sa page Facebook. En moins d’une heure, elle a fait le tour des réseaux sociaux.
