"Vous avez détruit le pays, bande de voleurs ! (...) Pouvoir assassin": une nouvelle marée humaine a paralysé Alger
- Publié le 22-03-2019 à 21h14
- Mis à jour le 22-03-2019 à 21h27
Malgré la pluie, la grande mobilisation hebdomadaire contre le régime du président Bouteflika n’a pas dérogé à l’habitude. Hier à Alger, des milliers de manifestants ont envahi le centre-ville dès la matinée. Début d’après midi, la ville était paralysée, une nouvelle fois, par une marée humaine, dans une ambiance conviviale et bon enfant.
Aux cris de "Algérie libre et démocratique", des milliers de voix ont crié leur rêve de liberté. Un peu plus loin, d’autres reprennent en chœur : "Vous avez détruit le pays, bande de voleurs !" Un autre carré leur répond en écho : "Pouvoir assassin". Une banderole décline le programme : "Dégagez ! Après votre départ, nous construirons notre pays."
Comme un défi au mauvais temps, un quinquagénaire, trempé comme un canard, brandit fièrement sa pancarte : "La pluie ne tue pas. Le pouvoir tue à petit feu. Alors, marchons !". Un enfant de quatre ans coiffé d’un bonnet aux couleurs nationales, chante : "Armée, peuple, khawa khawa (tous frères)".

L’irruption des femmes
Au nom de l’unité du mouvement, les islamistes tentent, depuis le début du soulèvement, de torpiller tout débat autour des questions démocratiques. Comme le statut de la femme, qui leur donne de l’urticaire. Un Groupe de femmes pour le changement vers l’égalité a décidé de briser le tabou des fraternités toxiques. Dans une déclaration publiée jeudi, les signataires rappellent que "la construction de notre avenir commun ne va pas sans une égalité pleine et entière entre les citoyennes et les citoyens, sans distinction de genre, de classe, de région ou de croyances". Présentes en force dans les manifestations, elles réaffirment leur "détermination à changer le système en place avec toutes ses composantes, y compris son volet sexiste, patriarcal et misogyne".
Autre épine dans le pied islamiste, des manifestants ont brandi, hier, les photos d’intellectuels assassinés par les terroristes dans les années 90. Une banderole rappelle que, malgré le temps qui passe, les plaies sont toujours à vif : "Non à l’oubli ! Non au pardon ! Non à la réhabilitation des sanguinaires !"

Retrouvailles fraternelles
Stigmatisé par les barbus au nom de l’unité nationale, le drapeau berbère, commun à toute l’Afrique nord, s’est imposé aux côtés de l’emblème national, et marque la renaissance de l’Algérie plurielle. En arabe, en berbère et en français, les chants et les slogans se sont mélangés dans une harmonieuse symphonie. Sur les réseaux sociaux, les internautes ont vivement condamné les chefs intégristes réfugiés à Londres qui ont appelé à brûler les drapeaux français, russe et chinois.
Contre ces manœuvres sournoises, l’esprit d’une conviviale fraternité a prévalu. Plus encore que la semaine dernière, plusieurs familles ont préparé du couscous et des gâteaux, qu’elles ont offerts gracieusement aux manifestants venus de province. Rachid, un enseignant kabyle de 35 ans est ému aux larmes : "Lorsque nous sommes venus manifester à Alger en juin 2001, nous avons été chassés comme des ennemis. Aujourd’hui, on nous accueille à bras ouverts avec du couscous. Je suis fier de retrouver mes frères algérois…"