Bucarest accorde "l’impunité" aux corrompus
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- Publié le 26-04-2019 à 09h33
- Mis à jour le 26-04-2019 à 09h34
La gauche populiste a adopté mercredi un assouplissement du code pénal, accusé par la Commission européenne de fragiliser la lutte contre la corruption. "La Roumanie doit de toute urgence remettre le processus de réforme sur les rails. Sinon, la Commission devra agir rapidement et utiliser pour cela tous les moyens à sa disposition." On ne compte plus le nombre de fois où l’exécutif européen a émis cet avertissement, à chaque fois plus sévère, pour tenter de parer la dérive liberticide à l’œuvre en Roumanie, à l’heure où le pays assure la présidence de l’Union. Réitérée ce jeudi, cette mise en garde fait suite à l’adoption, par la majorité de gauche populiste du Parlement roumain, de réformes du code pénal visant à assouplir la lutte contre la corruption, fléau qui gangrène la Roumanie. L’opposition a déjà décidé de contester ces mesures "favorisant les criminels" devant la Cour constitutionnelle, retardant ainsi leur entrée en vigueur.
"En tant que juge, j’estime que la lutte contre la criminalité est ainsi découragée. La Roumanie apparaît comme un pays où c’est la commission d’infractions, non pas la lutte contre celles-ci, qui est favorisée", regrette le juriste Cristi Danilet. Selon les réformes adoptées, l’abus de pouvoir et l’escroquerie seraient beaucoup plus faiblement punis : si l’auteur de ces crimes aquitte le préjudice avant la sentance définitive, sa peine est réduite de moitié. L’infraction par négligence des personnes exerçant une fonction publique serait, elle, abrogée. Le fait de donner des pots-de-vin et le trafic d’influence seraient partiellement désincriminés : le délai pour qu’une personne dénonce ces abus sans risquer des poursuites est réduit à un an.
Tirer d’affaire Liviu Dragnea
Last but not least, les délais de prescription en matière de corruption sont réduits. C’est là l’une des modifications clés puisque le grand bénéficiaire ne serait autre que Liviu Dragnea, dirigeant du Parti social-démocrate (PSD) au pouvoir à Bucarest et homme fort du pays. En juin, il a été condamné en première instance à trois ans et demi de prison ferme dans une affaire d’emplois fictifs remontant à 2006, une décision dont M. Dragnea a fait appel. Alors que la prochaine audience de ce procès crucial est fixée au 20 mai, ces réformes pourraient tirer d’affaire M. Dragnea.
Cela fait des mois que celui qui préside la Chambre des députés - il aurait voulu être Premier ministre, mais sa condamnation pour fraude électorale l’en a empêché - est engagé dans une course contre la montre avec la justice, faisant pression sur ses ministres pour adopter en urgence des réformes qui assureraient sa liberté, notamment une loi d’amnistie pour les corrompus. Le refus de Tudorel Toader d’obtempérer lui a récemment coûté son poste de ministre de la Justice, toujours pas occupé depuis.
Une stratégie poursuivie depuis 2 ans
Les réformes adoptées cette semaine s’inscrivent dans une stratégie de mise au pas de la justice poursuivie par le PSD depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Prétendant corriger "les abus" des magistrats qui formeraient un "État parallèle", le PSD a tenté à plusieurs reprises de réformer la justice - souvent par décret d’urgence, en catimini - avant de faire partiellement marche arrière face à la colère de la rue. Le président Klaus Iohannis (centre-droit) a ainsi décidé d’organiser, le 26 mai, en même temps que les élections européennes, un référendum sur l’État de droit. Les questions, présentées ce jeudi, porteront justement sur cette tendance à réformer la justice par décret d’urgence et la possibilité d’accorder une amnistie aux corrompus.
Au courant des projets en vue du PSD, la Commission avait mis en garde dès avril contre des amendements qui créeront "une impunité systémique pour les hauts responsables politiques condamnés pour corruption". En vain. "Nous étudierons attentivement les mesures adoptées avant de décider des prochaines étapes", a donc annoncé jeudi l’exécutif européen, qui ne pourra agir que si et lorsque ces réformes entreront en vigueur. "La Roumanie risque l’activation de l’Article 7", assure le politologue Cristian Pirvulescu, en référence à une procédure de sanction prévue en cas de risque grave de violation des valeurs de l’UE, déjà activée contre la Hongrie et la Pologne. "Voter une loi qui permettrait au président de la Chambre d’échapper à la prison exclut la Roumanie du rang des États de droit", estime l’eurodéputé libéral Cristian Preda.