"Au Moyen-Orient, vous ne menacez pas avec une arme qui n’est pas chargée"
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- Publié le 16-05-2019 à 16h48
- Mis à jour le 16-05-2019 à 18h35
Uzi Dayan, le neveu du général Moshe Dayan, l’un des acteurs du traité de paix entre l’Egypte et Israël, était de passage à Bruxelles. Cet ancien directeur du Conseil de sécurité nationale israélien a dirigé plusieurs missions secrètes de Tsahal, l'armée israélienne, dont un projet d'assassinat de Yasser Arafat. C'était en 1982. Nous l'avons rencontré. Uzi Dayan, dans les années 80, vous aviez reçu pour mission d’éliminer Yasser Arafat. Vous y avez renoncé en raison du nombre de victimes civiles qu’une telle opération aurait entraînées. Fallait-il éliminer Arafat ?
Nous étions déçus, car nous pensions – et je le pense encore aujourd’hui – que pour dissuader le terrorisme, il faut menacer sa propre existence. Il y a deux façons de le faire. Une, en éliminant tout le leadership comme cela a été fait avec le groupe Baader-Meinhof en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie. Tuer la direction d’un groupe en pleine guerre est très efficace. Si le Hezbollah tentait de faire quelque chose, la première cible devrait être Nasrin Nasrallah. La seconde façon, c’est de pousser le groupe terroriste hors de son territoire. Nous avons réussi à pousser le Fatah d’Arafat hors du Liban. C’est en quelque sorte ce qui l’a amené aux négociations de paix d’Oslo.
L’Etat islamique a perdu son territoire, mais pas sa capacité de nuire...
Daech est une organisation étendue, qui n’a pas vraiment un territoire. Viser ses leaders est efficace, spécialement quand ils sont en fuite permanente. L’Etat islamique a perdu la guerre pour avoir essayé, au lieu de rester une organisation clandestine, de prendre le contrôle de certaines régions. Il y a eu trois vagues historiques au Moyen-Orient. Avec les accords de Sykes-Picot, en 1916, on a vu des rois émerger ici et là, même en Syrie. Puis sont arrivés les généraux, qui ont voulu se mettre dans les souliers des rois, en se présentant comme des personnes non corrompues et mieux organisées. Ce fut le cas en Egypte, en Irak et en Syrie. La troisième vague est arrivée avec Daech, qui n’a pas voulu se mettre dans les souliers des généraux mais créer un nouvel ordre au Moyen-Orient, un califat. Cela n’a pas marché.
Où en est-on aujourd’hui ?
Une poignée de pays seulement sont stables. Il n’y a que quatre vrais pays au Moyen-Orient. Ils ont une nation, un territoire national et une histoire : l’Iran, la Turquie, l’Egypte et Israël. Tous les autres, comme le disait Churchill, sont des tribus avec des drapeaux. Ils sont très vulnérables. Voyez la Libye par exemple, qui est désintégrée entre deux tribus. Cela pourrait arriver en Syrie ou en Irak.
Et Israël ?
Israël est au top. Le taux de chômage est à moins de 4 %. Le PIB par habitant dépasse les 40 000 dollars, tout cela dans une région où il y a la guerre et le terrorisme. En 2048, le pays aura cent ans. Savez-vous combien d’habitants aura Israël ? Vingt millions. Quand nous avons commencé en 1948, nous étions 600 000. Une nuit, alors que nous étions en train de négocier, le roi Hussein m’a pris à part parce qu’il connaissait mon oncle. Il m’a dit : « Vous pensez que vous êtes un petit pays entouré par des ennemis ? Vous ne comprenez pas notre problème, à nous les Jordaniens. Nous sommes un petit pays entouré par des amis. C’est plus dangereux ». Nous assistons à l’émergence d’un nouvel Moyen-Orient avec l’alliance de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et d’autres monarchies pour empêcher l’émergence d’une bombe nucléaire chiite.
On a l’impression qu’une guerre est possible entre l’Iran et les Etats-Unis, peut-être avec l’implication d’Israël. Ne serait-il pas mieux de négocier avec Téhéran ?
L’Iran est une menace intolérable pour Israël si l’existence même de notre pays devait être mise en cause. Un Iran nucléaire est aussi une menace intolérable pour chacun. Tous les pays sunnites sont d’accord sur ce point. J’alerte sur ce sujet depuis 2001. Condoleezza Rice, Paul Wolfowitz, Richard Armitage m’ont demandé combien de temps faudrait-il à l’Iran pour devenir nucléaire ? J’ai répondu « au moins une décennie ». Ils m’ont dit que c’était trop tôt pour s’en préoccuper. Mais un jour, vous vous réveillez et il est trop tard... Jamais nous ne tolérerons un Iran nucléaire. Car cela va créer un désordre au Moyen-Orient et une course à l’arme nucléaire. L’Egypte et les pays qui ont les moyens de se payer la technologie l’acquerront. Nous menaçons et nous sommes prêts à frapper l’Iran. Ce sera notre dernier choix. Nous préférons que les sanctions marchent. Ce que fait le président Trump est juste. Nous ne sommes pas capables de mener une guerre de trois mois en Iran, nous n’avons pas les capacités militaires des Etats-Unis mais nous pouvons piquer.
Comme le virus Stuxnet ?
Non, comme un Hornet (avion de combat, ndlr). Au Moyen-Orient, vous ne menacez pas avec une arme qui n’est pas chargée. Et cette arme est chargée.