En Roumanie, la lutte anticorruption se retrouve au coeur de la campagne électorale pour les européennes
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- Publié le 24-05-2019 à 10h13
- Mis à jour le 24-05-2019 à 15h47
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Deux ans après la montée au pouvoir de la gauche populiste eurosceptique, accusée de miner l’État de droit et cible des plus grandes manifestations depuis la chute du communisme, les Roumains se rendent ce 26 mai aux urnes dans une atmosphère tendue.
La campagne s’est cristallisée sur le Parti social-démocrate (PSD), plus particulièrement son chef de file Liviu Dragnea, perçu par l’opposition comme l’incarnation de la corruption, ou comme l’allié du "peuple" par son électorat. À travers ce prisme pro/anti-PSD, se dessine une société polarisée entre les gagnants et les désillusionnés de la transition démocratique et libérale. Tandis que la question de la défense de l’État de droit, au cœur du référendum convoqué le 26 mai, pose celle du choix de la place de la Roumanie dans l’Union, entre le noyau des États pro-européens et celui du Hongrois "illibéral" Orban.
Depuis 2017, les sociaux-démocrates ont multiplié les réformes controversées de la justice, s’engageant dans un bras de fer avec l’Union européenne, alors même que la Roumanie en assure la présidence tournante. Selon la Commission, ces lois pourraient "créer de facto une impunité systémique pour les hauts responsables politiques", notamment Liviu Dragnea mis en cause dans plusieurs affaires judiciaires. Dans ce contexte, le PSD est un élément de clivage de la société et des partis politiques, même en campagne européenne. "Il y a le PSD et le camp anti-PSD. Le PSD se victimise et dit être le seul à œuvrer pour la population. Ses détracteurs disent que ce qui compte, c’est se débarrasser du PSD", observe le politologue George Jiglau, de l’université Babes Bolyai.
Iohannis à couteaux tirés avec la gauche
Le président Klaus Iohannis (centre-droit) est monté au front contre le PSD, usant de tous ses pouvoirs pour plomber ses projets législatifs. Dernier coup en date : la convocation d’un référendum sur la justice, le jour des européennes. Les électeurs devront se prononcer sur l’interdiction de l’amnistie et de la grâce des infractions de corruption - que le PSD tente de faire passer. Ainsi que sur l’interdiction d’adopter des ordonnances d’urgence relatives au domaine judiciaire - celles-ci étant devenues monnaie courante sous le gouvernement social-démocrate. Les conséquences pratiques de ce plébiscite consultatif restent floues, bien qu’une victoire du "oui" serait indéniablement une demande d’intransigeance face à la corruption. "C’est aussi un référendum sur le PSD, a donc déclaré M. Iohannis. Les électeurs peuvent lui donner une leçon."
Encore faudra-t-il que le quorum de présence des 30 % soit atteint. À ce titre, le scrutin européen n’est pas une garantie - en 2014, à peine plus de 30 % des Roumains ont voté. C’est au contraire ce référendum centré sur la défense de la justice, et implicitement la lutte anticorruption, qui pourrait stimuler la présence aux urnes. D’aucuns suspectent M. Iohannis d’avoir convoqué le référendum dans ce but, la légende électorale voulant que la présence au vote est inversement proportionnelle au score du PSD. Quoi qu’il en soit, "ce sera un test pour savoir à quel point ce sujet mobilise vraiment la population", selon M. Jiglau. Ce référendum est surtout un test électoral pour M. Iohannis, avant les présidentielles de fin 2019. Il s’est doté "d’une plateforme de campagne pour se forger une image pro-européenne", note M. Jiglau. Mais une invalidation du référendum serait perçue comme un échec de M. Iohannis et "une invalidation de la défense de l’état de droit", met en garde le politologue Cristian Pirvulescu.
Quid de l’Europe ?
"La lutte anticorruption est devenue un discours idéologique", regrette toutefois Andrei Taranu, de l’École nationale d’études politiques et administratives. En cette année d’élections présidentielles et alors que le PSD continue ses attaques envers la justice, les thèmes européens ont trouvé peu d’écho dans les débats politiques. "Parler par exemple des Spitzenkandidaten (têtes de liste virtuelles des partis européens), ce serait comme parler d’ovnis. C’est une campagne essentiellement roumaine, incroyablement personnalisée, dirigée soit contre M. Dragnea, soit contre M. Iohannis", note M. Taranu.
La lutte anticorruption n’est cependant pas sans lien avec la place de la Roumanie en Europe. "Les deux sujets ont été liés dans les discours des partis. Certains disent qu’à cause de la corruption, la Roumanie ne brille pas comme elle le devrait dans l’Union. Le PSD soutient, lui, que l’UE déconsidère la Roumanie au motif qu’elle est corrompue pour la garder comme État membre de deuxième rang", observe M. Jiglau. De plus, "l’État de droit est un sujet on ne peut plus européen. Ce qui se joue avec ces élections, en Roumanie ou en Europe, c’est la réaffirmation des valeurs européennes à l’heure où les populistes progressent", défend Ramona Strugariu, candidate de l’Alliance USR-Plus. Rassemblant deux jeunes formations pro-européennes, cette alliance à peine née se profile comme la troisième force politique lors de ces élections - les libéraux seraient en tête, suivis de la gauche. Créditée de 20 % des intentions de vote, l’Alliance USR-Plus talonne déjà dans les sondages le PSD, pourtant le plus puissant parti roumain depuis des décennies.