Une famille ouïghoure, livrée à la police chinoise par la Belgique, ne donne plus de signe de vie
L’ambassade de Belgique à Pékin a appelé la police pour faire évacuer une mère et ses enfants qui demandaient sa protection.
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- Publié le 14-06-2019 à 14h08
- Mis à jour le 28-09-2019 à 17h45
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L’ambassade de Belgique à Pékin a appelé la police pour faire évacuer une mère et ses enfants qui demandaient sa protection.
La Belgique porte-t-elle une responsabilité dans la disparition d’une famille en Chine ? Wureyetiguli Abula et ses quatre enfants de 5, 10, 12 et 17 ans n’ont plus donné signe de vie à leur mari et père, réfugié en Belgique, après que l’ambassade de Belgique à Pékin, dont ils réclamaient la protection, les a fait évacuer par la police.
Ablimit Tursun, citoyen chinois originaire du Xinjiang, a obtenu l’asile en Belgique en 2018, comme de nombreux autres Ouïghours. Dans cette région de l’ouest de la Chine, le régime communiste orchestre une répression sans précédent de cette population turcophone, envoyant des centaines de milliers de personnes en prison et en camps de rééducation sous prétexte de lutte antiterroriste.
Ablimit Tursun, ouvrier dans une usine à Gand, s’est tourné vers l’ONG Centrum voor Algemeen Welzijnswerk (CAW) afin de l’aider à monter un dossier de demande de visa pour réunification familiale. Une candidature enregistrée par le ministère belge de l’Intérieur en octobre dernier. Sept mois plus tard, l’ambassade de Belgique à Pékin a contacté la famille pour qu’elle complète son dossier. Malgré le danger encouru - les Ouïghours ne peuvent circuler dans leur pays sans autorisation -, elle et ses enfants se sont rendus dans la capitale pour y passer les tests médicaux requis et obtenir les derniers documents nécessaires. À deux reprises, la police de Pékin a débarqué dans son hôtel pour l’interroger sur les raisons de sa venue.
Mme Abula s’est alors rendue le 28 mai à la représentation diplomatique belge pour y boucler le dossier - "en dehors des heures d’ouverture et sans rendez-vous", précisent les Affaires étrangères. Le personnel lui a conseillé de rentrer au Xinjiang pour attendre la fin de la procédure qui pourrait encore prendre trois mois. La maman, en danger à Urumqi et à Pékin, a été prise de panique. Elle a demandé protection belge, pour elle et ses enfants, en attendant la délivrance des visas et refusé de quitter l’ambassade. Mais l’ambassade, en l’occurrence, n’est "pas un hôtel", lui a-t-on répondu. "Il ne lui avait en effet pas été demandé de se présenter en personne avec ses enfants", se défendent aujourd’hui les Affaires étrangères. "Le dossier de regroupement familial suivait son cours de manière tout à fait normale, était traité avec la discrétion nécessaire par les services consulaires et ne pouvait pas être bouclé à ce moment."
La police chinoise appelée en territoire belge
La Belgique, qui s’est fait élire membre du Conseil de sécurité de l’Onu sur un programme de promotion des droits de l’homme, est pourtant très au courant de la répression en cours au Xinjiang et doit connaître les dangers encourus par les Ouïghours pour accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un visa. L’ambassadeur belge faisait partie des quinze représentants de l’Union européenne qui avaient demandé de pouvoir discuter de la situation en Région autonome du Xinjiang avec son gouverneur Chen Quanguo. (Une lettre qui a, au demeurant, essuyé une fin de non-recevoir de Pékin.)
Cela n’a pas empêché l’ambassade belge d’inviter la police chinoise, en pleine nuit, dans son bâtiment. "Une mesure rare qui relève de circonstances exceptionnelles", commente Vanessa Frangville, titulaire de la Chaire d’études chinoises à l’ULB. Mme Abula, ayant "refusé alors, aux yeux de tous et jusqu’à 4h du matin, de quitter les lieux malgré les multiples appels à la raison de nos collègues à Pékin", selon les Affaires étrangères, a été emmenée au poste de police et interrogée par des représentants des forces de l’ordre venus du Xinjiang, avant de pouvoir rejoindre son hôtel. Le 31 mai, des policiers ont fait irruption dans la chambre, emmené toute la famille et confisqué les téléphones. La mère et les enfants n’ont plus donné de nouvelles à Ablimit Tursun depuis.
"L’expérience de M. Tursun et de sa famille illustre la violence ordinaire à l’encontre des Ouïghours en Chine, qui ne peuvent ni voyager, ni rester à l’hôtel, ni déposer une demande de visa sans être placés sous l’extrême surveillance de l’État chinois. Plus grave encore, et bien plus troublante, est la réaction de l’ambassade belge, qui avait été informée par M. Tursun à maintes reprises des risques encourus par sa famille à chaque déplacement à Pékin. La demande de protection de Mme Abula a été refusée au nom de procédures administratives, mais plus aberrant encore, c’est l’ambassade qui a mis en danger la vie d’une mère vulnérable et ses enfants en les livrant à ceux-là mêmes qui les menaçaient", assène le Pr Vanessa Frangville, qui suit de très près la communauté ouïghoure. "Il ne s’agit pas d’une erreur administrative, mais bien d’une décision politique qui consiste à faire rentrer dans les murs de l’ambassade les représentants de l’ordre chinois, et signifie le peu d’importance accordée à cinq vies humaines, lorsque des opportunités économiques sont en jeu."
Aujourd’hui, Ablimit Tursun espère des Affaires étrangères belges qu’elles pourront convaincre les autorités chinoises d’émettre des passeports à son épouse et ses enfants. D’autant que, peu après avoir appris l’arrestation de Mme Abula, les autorités belges lui ont justement annoncé que le visa pourrait être délivré (moyennant la présentation du certificat de mariage authentifié). Aux Affaires étrangères, on assure continuer "à suivre ce dossier, en considérant que la discrétion - ou ce qu’il en reste en tout cas - et la patience seront essentielles à sa bonne évolution". Reste à savoir dans quelle situation se trouve la famille, sachant que la mère et les aînés risquent d’être envoyés en prison ou en camp de rééducation, et les plus jeunes dans un orphelinat, comme c’est très souvent le cas au Xinjiang.
