Les abus dans l’Église bousculent la foi des catholiques français
En France, les révélations au sujet d’abus et violences sexuels commis dans l’Église se multiplient ces derniers mois. Elles visent notamment des personnalités ecclésiales très connues. Et interrogent de nombreux catholiques sur leur rapport à l’Église.
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Publié le 06-02-2023 à 09h54 - Mis à jour le 07-02-2023 à 12h38
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L’Église de France n’est pas à l’arrêt. D’un clocher à l’autre, les prêtres taillent leur route, les laïques soignent leurs chapelles, les religieux cherchent à préserver des espaces de silence et de prière. À bien y regarder, les catholiques français font même preuve d’une grande créativité. Dans leur sillage on ne compte plus les associations, les lieux d’entraides, les colocations sociales, les cafés alternatifs, écologiques, artistiques, politiques. Pour autant, le fond de l’air est douloureux. Depuis des années, les révélations et scandales liés à des abus et violences sexuels ou de conscience se succèdent. En octobre 2021, le rapport de la Ciase révélait l’ampleur du nombre de violences sexuelles qui avaient été commises dans des institutions d’Église (330 000 agressions estimées entre 1950 et 2020). Depuis, il y eut, entre autres, l’affaire Santier (du nom de l’ancien évêque de Créteil reconnu pour avoir commis des actes de voyeurisme) ; de nouvelles révélations sur le passé de Jean Vanier, fondateur de l’Arche, et de son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe ; des abus commis au sein des communautés religieuses Saint-Jean ou des Béatitudes…
”Ce qui est particulièrement difficile pour l’Église, c’est que ces affaires ne touchent pas que des individus isolés ou inconnus, note Aymeric Christensen, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire catholique français La Vie. Certains des agresseurs sont des personnalités qui ont tenu de hautes responsabilités dans l’Église, ou qui ont été mises sur un piédestal durant de nombreuses années.” Ainsi du Cardinal Ricard, archevêque émérite de Bordeaux, qui a avoué avoir eu, il y a trente-cinq ans, une conduite “répréhensible avec une jeune fille de 14 ans” ; du prêtre Tony Anatrella (psychothérapeute très lu, accusé d’abus sexuels par d’anciens patients), de Monseigneur Santier ou de Jean Vanier.
”Pour autant, il faut établir des distinctions entre ces dossiers, souligne le journaliste. Les révélations autour de la figure de Jean Vanier sont très dures, mais elles ont été mises au jour par l’Arche, l’association qu’il a fondée, au terme d’une longue enquête indépendante. C’est le signe d’un besoin de clarté et de vérité dans l’Église. L’affaire Santier était par contre d’une autre nature. L’institution avait caché durant de longs mois les raisons de sa démission. Cette affaire témoignait donc de la difficulté pour les évêques – encore cet automne – d’avoir les bons réflexes pour prendre en charge et affronter les abus. Cela a engendré une colère froide et un sentiment de trahison chez de nombreux catholiques.”
Le lien avec l’Église locale
Il est néanmoins compliqué d’objectiver ou de généraliser le vécu des catholiques français. “L’affaire Santier a en effet provoqué un véritable coup de massue, l’affaire Jean Vanier une grande sidération, acquiesce Céline Hoyeau, journaliste au quotidien La Croix et auteure de l’ouvrage La Trahison des pères (Bayard, 2021). Depuis, on sent chez certains une détermination à faire la vérité, à regarder les choses en face, à comprendre les racines du mal, les mécaniques de l’emprise. Un lecteur nous écrivait qu’à chaque fois que nous édulcorons la vérité nous laissons la place aux prédateurs. D’autres sont plus découragés, décrochent de l’institution ou éprouvent une saturation, une envie de passer à autre chose.”
Fait notable, les principaux médias catholiques français (La Croix, La Vie, KTO, Famille chrétienne…) sont alignés et bien décidés – parce qu’ils ont “l’Église au cœur”, écrivent-ils – à faire toute la lumière. Pour autant, dans les paroisses, les abus ne constituent pas le premier sujet de conversation. “Cela ne veut pas dire que ces sujets ne sont pas dans toutes les têtes, nuance Aymeric Christensen. Les articles que nous publions sur la question suscitent d’ailleurs une grande audience. Pour certains fidèles, ce silence apparent marque le besoin de garder en vue tout le reste de la vie de l’Église.”
Jeune prêtre dans la paroisse de Montaigu en Vendée, Alexandre Guillaud aboutit à un constat relativement proche. “Les abus ont affecté les gens, mais quand je me rends chez des personnes âgées, malades, à des enterrements, dans des écoles, c’est rare que ces révélations soient évoquées. Les fidèles cherchent auprès de l’Église un appui humain ou spirituel pour soulager leurs jours, et je ne pense pas que ces affaires, aussi douloureuses soient-elles, aient abîmé le contact qu’ils tissent avec leur église locale. C’est d’ailleurs un peu la même chose pour nous, les prêtres. Ces scandales nous affligent profondément, nous voulons être proches des victimes, mais nous ne les commentons pas en permanence. Notre agenda chargé, avec ses joies et ses défis, prend vite le dessus dans notre quotidien.”
Les chiffres issus de la dernière campagne du denier de l’Église (qui voit les fidèles français verser des dons à l’institution pour la financer) semblent aller dans le même sens. “La crise des abus n’a pas eu, selon les premières prévisions de l’épiscopat, d’incidence sur le montant global donné au denier”, notait La Croix le 13 décembre. Cette fidélité s’expliquerait notamment par le profil des contributeurs – moins nombreux mais plus généreux – et la proximité des catholiques avec leur paroisse.
La fin de certains aveuglements
”Quant au rapport à la foi, je ne pense pas que de nombreux fidèles cessent de croire en Dieu, poursuit Céline Hoyeau. Cela ébranle néanmoins leur rapport à l’Église et interroge des notions de leur foi. Que veut dire la sainteté de l’Église que l’on évoque dans la prière du Credo ? Jusqu’où peut aller l’obéissance spirituelle ? Comment comprendre que de belles notions théologiques aient pu être tordues pour justifier des abus sexuels ? Voici autant d’interrogations que charrie l’actualité ecclésiale de ces derniers mois.”
Cette actualité “pose la question de notre vigilance et de nos aveuglements, conclut pour sa part Aymeric Christensen. Beaucoup des agresseurs, avant les révélations les concernant, ont longtemps été considérés comme des héros par lesquels viendrait le salut de l’Église. Cette mise sur un piédestal ne nous a pas rendus suffisamment attentifs à certains signaux d’alerte. En définitive, ces affaires invitent les catholiques à se méfier des enthousiasmes idéologiques ou spirituels qui créent des aveuglements, pour revenir à l’essentiel de leur foi, l’Évangile.”