En France, les forces de l’ordre utilisent désormais des drones pour surveiller les manifestations
Autorisé par la Justice, le recours des drones policiers pour surveiller les manifestants est désormais recommandé à tous les préfets par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Une mesure qui suscite les critiques de plusieurs associations de défense des libertés et du Syndicat des avocats de France.
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Publié le 11-05-2023 à 18h15
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Ils vrombissent dans les airs, filent au-dessus des têtes, stationnent parfois en surplomb d’un petit groupe de manifestants et disparaissent du ciel quand le défilé touche à sa fin. Des drones ont été utilisés par les forces de l’ordre lors des manifestations du 1er et du 8 mai à Paris, Lyon, Nantes, Le Havre pour la toute première fois en France de manière légale. Il faudra sans doute s’y habituer : après une longue bataille juridique, leur utilisation vient d’être autorisée par la Justice, au grand dam de plusieurs associations de défense des libertés individuelles.
Le recours aux drones policiers a en effet été autorisé par la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure de janvier 2022. Il ne manquait que le décret d’application, finalement pris le 19 avril. Bingo, à peine trois jours après, des caméras aéroportées faisaient leur apparition dans le ciel de Saïx (Tarn) lors d’une manifestation contre un projet autoroutier. Signe que les forces de l’ordre étaient déjà équipées de ces aéronefs et formées à leur maniement.
Des drones pour “prévenir, sécuriser et secourir”
Désormais, les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les douaniers peuvent donc recourir, sur autorisation du préfet, à la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des drones, des hélicoptères et des ballons captifs. Lors des manifestations, mais pas seulement : ces derniers jours, des drones ont survolé les abords du Stade de France pour la finale de la Coupe de France ; dans l’Eure-et-Loir, ils servent désormais à lutter contre les rodéos urbains ; à Nice, la police nationale y recourt pour sécuriser un quartier en proie au trafic de stupéfiants ; dans les Alpes-Maritimes, ils servent à empêcher les migrants de franchir la frontière entre l’Italie et la France.
La loi prévoit six raisons pouvant être invoquées pour lâcher dans le ciel ces engins de surveillance, dont certains peuvent voler à 100 m de haut et à une vitesse de 72 km/h et dont la caméra dispose d’un zoom multipliant par 32 la taille de l’objet observé. Parmi elles, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, la sécurité des rassemblements sur la voie publique, l’appui des agents au sol en vue de maintenir ou rétablir l’ordre public. “Il s’agit de prévenir, sécuriser et secourir”, précise le ministère de l’Intérieur. Concrètement, les drones ont permis d’identifier “quatre nébuleuses violentes” lors d’une manifestation dans la capitale, s’est réjoui le préfet de police de Paris Laurent Nuñez sur BFM TV. Et ils seront, selon lui, “indispensables” pour sécuriser la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024.
“Une atteinte extrêmement forte aux droits et aux libertés individuelles”
Oui, mais voilà : lui et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ont beau assurer que ces drones, déjà utilisés dans d’autres pays d’Europe, visent à “protéger les libertés publiques” et que la loi fixe des garanties (un maximum de 40, 60 ou 100 caméras peuvent être installées sur des drones simultanément par département ; l’enregistrement ne doit pas comporter de son ni de reconnaissance faciale et les images doivent être détruites au bout de sept jours, sauf en cas d’enquête judiciaire), de nombreuses associations s’insurgent. À commencer par l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles (Adelico) et la Quadrature du net, qui attaquent ce texte devant le Conseil d’État. “Nous considérons que les drones policiers portent atteinte de manière extrêmement forte aux droits et aux libertés individuels, plus qu’aucun autre dispositif de sécurité jusque-là, nous explique Paul Cassia, professeur de droit public à Panthéon Sorbonne et membre de l’Adelico. Nous demandons que leur utilisation soit très encadrée. Il en va du respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelles et aussi, indirectement, de la liberté de manifester. ”
Des drones chinois qui piratent nos données ?
Autre problème, l’essentiel des drones utilisés par les autorités sont… chinois. Selon nos informations, le ministère de l’Intérieur, qui a publié en 2020 un appel d’offres pour acheter plus de 600 drones moyennant 4 millions d’euros, s’est équipé pour l’essentiel de drones fabriqués par le Chinois DJI. Or cette entreprise fait l’objet de plusieurs plaintes notamment déposées par la Fédération européenne des drones de sécurité, Drones4sec. “DJI a commis des manquements au règlement sur la protection des données personnelles (RGPD) et a transféré les données de ses utilisateurs en Chine sans les avertir et sans protection appropriée”, nous explique son président Victor Vuillard.
Toujours est-il qu’avant le décret du 19 avril, ces drones exerçaient déjà des missions de surveillance en toute discrétion. Qu’il s’agisse de surveiller les banlieues en 2007, les manifestations contre la loi Travail en 2016, les opérations autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018 (un article de la Revue de la gendarmerie nationale souligne que le déploiement des drones fut alors d’un niveau “jamais atteint en Europe”) ou le respect des mesures de confinement en 2020, les autorités profitaient d’un vide juridique. Elles pourront désormais faire voler leurs drones… en toute légalité.