La France gagnée par le mouvement "childfree" : "C’est le signe d’un changement culturel majeur"
30 % des femmes en âge de procréer déclarent ne pas vouloir d’enfants. Le pays devrait connaître cette année un nombre de décès supérieur aux naissances, du jamais vu depuis les années 1890.
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Publié le 25-05-2023 à 16h44 - Mis à jour le 25-05-2023 à 16h46
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Les couches, les devoirs et les jouets qui traînent partout, très peu pour elles. En France, un nombre croissant de femmes n’hésitent plus à repousser leur projet de maternité, voire à se rétracter complètement. Selon deux sondages récents réalisés par les instituts GFK et Ifop, 30 % des femmes en âge de procréer déclarent ne pas vouloir d’enfants. Un chiffre extrêmement élevé, à prendre avec précaution – il ne s’agit là que de déclarations d’intention ou plutôt de non-intention de maternité – qui fait néanmoins écho à une tendance observée par les démographes : la baisse continue et importante de la natalité depuis 2010 (ce qui n’empêche pas la France de rester la championne de la fécondité en Europe, avec 1,8 enfant par femme en 2022).
Un record en mars 2023
Selon l’Insee, il y a eu 723 000 naissances en 2022, soit 19 000 de moins que l’année précédente (et 110 000 de moins qu’en 2010). En mars 2023, seuls 1 816 bébés sont nés en moyenne par jour dans les maternités françaises, soit le niveau de naissance le plus faible constaté depuis 1994, date à laquelle les premières données mensuelles ont été enregistrées. Et jamais depuis la Seconde Guerre mondiale le solde naturel – différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès – n’a atteint un niveau aussi bas que l’an dernier.
Comment expliquer que les femmes en France aient moins d’enfants qu’auparavant ? Les raisons sont nombreuses. Il y a moins de femmes en âge de procréer, l’âge de la première grossesse recule (31 ans en moyenne en 2022 contre 24 ans en 1974) et l’infertilité augmente (elle touche désormais un couple sur quatre). Parallèlement, le nombre de femmes refusant la maternité augmente.
“Le mouvement childfree, né aux États-Unis, gagne plus que jamais la France, confirme Edith Vallée, docteure en psychologie, écrivaine et fondatrice du site Internet www.non-maternite.org. Dans notre pays aussi, les femmes s’emparent désormais de leur vie. Elles s’épanouissent à présent dans trois domaines : l’union (avec quelqu’un ou quelque chose qu’elles aiment), l’action et/ou la rupture (avec la chaîne générationnelle ou le mode de vie actuel) ; et certaines d’entre elles font par conséquent le choix de la non-maternité.” Pour cette spécialiste qui suit ces questions de près depuis quarante ans, le profil des femmes ne souhaitant pas devenir mères a évolué au fil des ans : “Au départ, les childfree étaient plutôt issues de milieux intellectuels et avaient les moyens culturels de se réaliser autrement qu’à travers un enfant. Mais aujourd’hui, on en trouve dans toutes les catégories sociales”.
Au départ, les childfree étaient plutôt issues de milieux intellectuels (...). Mais aujourd’hui, on en trouve dans toutes les catégories sociales.
Leurs motivations sont diverses, comme l’illustrent les témoignages recueillis récemment par le Huffington Post sur sa page Facebook. “Je n’ai jamais voulu d’enfant car je n’ai pas ce qu’on appelle l’instinct maternel. Je sais que ça choque, mais je ne m’extasie pas devant un enfant”, explique une certaine Marie-Françoise. “Avec le monde qui meurt peu à peu et l’avenir qui nous attend, il faut avoir soit une bonne dose d’inconscience ou une bonne dose de naïveté pour mettre un gosse dans ce monde”, estime pour sa part Caterina. Si certaines privilégient donc leur épanouissement personnel, d’autres évoquent la pandémie, la surpopulation et l’environnement pour expliquer leur refus de fonder un foyer. De fait, le mouvement GINK (Green Inclination, No Kids) se développe lui aussi en France et un nombre croissant de femmes estiment que donner la vie revient peu ou prou à polluer la planète.
Exit les injonctions à la parentalité
Dans tous les cas, “ce désir de ne pas vouloir ‘faire famille’ paraît très symptomatique de la capacité croissante des Françaises à s’affranchir des injonctions à la parentalité et, plus largement, du modèle liant intrinsèquement féminité et maternité. C’est le signe d’un changement culturel majeur”, analysait François Kraus, directeur du pôle Actualités à l’Ifop, à l’occasion de la parution du sondage précédemment évoqué dans le magazine Elle.
Pour Edith Vallée, “le phénomène #MeToo a en outre conforté les femmes dans l’idée qu’elles ont le droit de se réapproprier leur corps et de se réaliser comme elles l’entendent”. Si un très grand nombre s’épanouissent en tant que mères de famille, elles sont de plus en plus nombreuses à s’accomplir sans enfants. “Et même si ces femmes sont parfois encore accusées de ne pas participer au renouvellement de la vie, la société se montre bien plus tolérante à leur égard qu’auparavant”, se réjouit la psychologue.
Reste que cette tendance inquiète les autorités. “La démographie est la clé pour préserver notre modèle social”, martèle ainsi régulièrement François Bayou, Haut-commissaire au Plan chargé d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux notamment démographiques. Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, a rappelé quant à lui en février dernier que “le taux de natalité doit être observé avec autant d’attention que le PIB. Il est en effet au croisement des enjeux productifs, sociaux, culturels et environnementaux”. Sauver les retraites ou la planète, chacune peut en tout cas désormais choisir !