Voici la stratégie payante de Marine Le Pen
Depuis que Marine Le Pen a pris la tête du Rassemblement national, son parti s’est couvert d’un vernis social. Une tactique qui porte ses fruits malgré ses ambiguïtés.
Publié le 25-05-2023 à 09h40
:focal(933.5x641:943.5x631)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/XZH6FQHDWJFRBCALNRSF3274OA.jpg)
”Face à Macron, le seul bouclier social, c’est nous !”, tel est le message d’une récente newsletter du Rassemblement national (RN). L’extrême droite tente de tirer les marrons du feu de la réforme des retraites et de la grogne sociale, et ça fonctionne. Il ressort même de récents sondages que sa leader Marine Le Pen battrait le président Emmanuel Macron (Renaissance) si le duel du second tour de l’élection suprême de 2022 devait se rejouer aujourd’hui.
En reprenant les rênes du Front national (FN) en 2011, Marine Le Pen a entamé une entreprise de dédiabolisation, avant de, peu à peu, lui tisser une trame sociale, en opposition à son père, Jean-Marie Le Pen, ultralibéral et contre l’État-providence. Elle a par exemple défendu une retraite à 60 ans pour tous, avant de revoir récemment sa copie.
Ce virage stratégique et ce choix de la carte sociale ont participé à la percée de l’extrême droite. Le FN a ainsi remporté quelques victoires aux municipales de 2014 puis aux législatives de 2017, notamment dans des territoires marqués par la précarité. Ce qui permet à Marine Le Pen, élue députée du Pas-de-Calais, de prendre le pouls du terrain.
L'effet "Gilets jaunes"
Puis, en 2018, année où le Front devient Rassemblement, est apparu le mouvement des Gilets jaunes. Parmi les revendications de ces derniers : plus de pouvoir d’achat et un accès égal à des services publics de qualité. “C’est un tournant pour le RN”, estime Luc Rouban, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et auteur de La vraie victoire du RN (Presses de Sciences Po, 2022). “Les Gilets jaunes, c’est un mouvement indépendant des syndicats, qui n’est pas ancré à gauche. Il est plutôt porté par de petites classes moyennes qui se sentent déclassées et qui n’attaquent pas le patronat mais l’État pour la fiscalité et la déliquescence des services publics. Il porte aussi une autre idée : la non-reconnaissance du travail et la panne de l’ascenseur social. Le RN a repris toutes ces idées. C’est Florian Philippot qui, avant d’être exclu du parti en 2017, assurait qu’il ne fallait pas être trop libéral parce que les catégories populaires et moyennes étaient très attachées au service public et à l’État-providence.”
Enchaînant de nouveaux succès électoraux, le RN continue aussi de se profiler en parti défendant le pouvoir d’achat, première préoccupation des Français. Il renforce cette stratégie avec l’inflation et la hausse des prix des carburants et de l’énergie. “Où est passé notre argent ?” est d’ailleurs le nom d’une campagne lancée fin février.
"Priorité nationale”, version Marine
Le RN a sa réponse à cette question. “Il s’agit de dire aux Français que leurs impôts sont mal utilisés, pour les migrants notamment, et qu’ils pourraient payer moins si les services publics étaient réservés surtout aux nationaux, souligne Luc Rouban. Ce discours permet de verrouiller les arguments et de donner une cohérence idéologique : l’État-providence n’est légitime que s’il est réservé aux nationaux. C’est un argument qui parle à beaucoup de Français. Celui d’un programme social foncièrement national. Celui de la priorité nationale.”
Durant la dernière élection présidentielle, la leader du RN a ainsi proposé un référendum pour appliquer la préférence nationale en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux aides sociales.
Jean-Marie Le Pen a tenté la même stratégie. Le slogan du FN en 1978 était clair : 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! “Mais Jean-Marie Le Pen n’est peut-être pas parvenu à relier les deux thèmes, observe Luc Rouban. Ce n’est pas la même époque et puis, il y a ce mépris social du macronisme, avec ses petites phrases. Ça, c’est terrible. Rappelez-vous aussi l’expression du président François Hollande : “les sans-dents”. Tout cela réactive l’argumentaire populiste contre ces élites qui ne s’intéresseraient pas à la vie quotidienne des citoyens, alors qu’il y a une attente réelle pour plus de social, mais aussi plus d’autorité et moins d’immigration.”
Marine Le Pen tente de lier tous ces sujets, tout en flattant le patronat et en honnissant les syndicats, et même en votant contre la hausse du Smic en juillet dernier. Le RN n’est pas à une contradiction près.
Pour ne pas trop attirer les regards sur ses contorsions, le RN, aidé par une majorité qui passe plus de temps à taper sur la coalition de gauche qu’à combattre l’extrême droite, est resté discret durant les débats sur la réforme des retraites. Avec le passage en force du camp présidentiel, Mme Le Pen peut aujourd’hui claironner que la gauche n’a rien pu empêcher, et prétendre être “le seul bouclier social” face à Emmanuel Macron.