Reportage auprès des mécanos de l’ombre de la guerre en Ukraine: "Tous les jours, les gars accomplissent des miracles"
Depuis les lignes arrière, les compagnies de maintenance doivent faire preuve d'ingéniosité pour maintenir en état des blindés et des chars souvent hors d'âge.
- Publié le 03-06-2023 à 21h01
:focal(2676x1789:2686x1779)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WO32THIAOVGQLF62PFGUG7WVWE.jpg)
Dans un hangar en béton de la région de Kharkiv, dans l’Est de l’Ukraine, plusieurs hommes en bleu de travail s’affairent autour d’un moteur à la lueur d’une lampe halogène, leurs mains couvertes de cambouis. À leurs côtés, un tank T-72 est immobilisé, le canon recouvert d’une toile de jute. Le lieu est bruyant. Le son d’un marteau frappant le métal et celui, strident, d’une scie sauteuse y résonne avec régularité.
Dans cette base située à l’arrière du front, les hommes du bataillon de réparation et de restauration de la 3e brigade de tanks de l’armée ukrainienne remettent en état les véhicules et chars d’assaut endommagés ou tombés en panne, avant de les renvoyer au combat. Une tâche dont ils s’acquittent avec talent, selon leur commandant, en dépit de leur manque d’expérience. “Tous ici sont mobilisés, explique le lieutenant-colonel Oleksandr Dereka, en charge du bataillon. La plupart d’entre eux n’avaient jamais vu un tank avant le 24 février 2022. ”
De nombreux vieux chars soviétiques “bricolés”…
Dans un coin du hangar, un mécanicien répare une grille métallique à l’aide d’un fer à souder, soulevant périodiquement des gerbes d’étincelles bleues et or. Si, au cours des dernières semaines, les alliés de l’Ukraine ont accéléré les livraisons d’armes et d’équipements, tels que les tanks Léopard-2 ou les véhicules de combat Bradley, l’essentiel de l’inventaire ukrainien est encore composé de blindés soviétiques vieillissants. La plupart des véhicules en service au sein des brigades mécanisées et de blindés sont en effet des tanks T-72, vieux de cinquante ans, ou des véhicules de transport de troupes BTR-82, mis en service par l’Armée rouge en 1982. La réparation et la maintenance de ces équipements est donc d’une importance vitale pour l’effort de guerre ukrainien, alors que le gouvernement de Volodymyr Zelensky a annoncé ces derniers jours que la contre-offensive était imminente.

…Et des prises de guerre
Mais si l’Ukraine peut compter sur le soutien de ses partenaires occidentaux, son premier fournisseur d’armes est, paradoxalement, la Russie. Dans le hangar, plusieurs des véhicules en cours de maintenance sont ainsi des “trophées”, comprendre des véhicules russes capturés par les Ukrainiens.
L’un d’entre eux, un BTR-82 à la peinture défraîchie porte encore les séquelles des combats, ses flancs ornés de plusieurs impacts de shrapnels. Sur un autre, la lettre “Z”, devenue symbole de l’invasion russe, est recouverte d’une croix blanche, le signe d’identification des forces armées ukrainiennes. “Après la contre-offensive de septembre qui a libéré la région de Kharkiv, les Russes ont abandonné une grande quantité de véhicules et d’équipement, confirme Dereka. Des blindés, des chars, mais également des armes automatiques et des munitions.”
Selon le projet d’analyse en open source néerlandais Oryx, plus de 2.800 véhicules russes auraient été capturés par l’armée ukrainienne depuis le début de l’invasion. Si certains d’entre eux sont remis directement en service, d’autres, trop endommagés, sont démantelés, et leurs pièces cannibalisées pour en réparer d’autres. Dans le hangar, une pile de roues et de chenilles provenant de blindés russes, et le moteur d’un véhicule antiaérien soviétique “Tunguska” sont ainsi entreposés, attendant d’être remis en service. “Les Russes ont récupéré tout ce qu’ils pouvaient sur ce véhicule avant de nous le laisser, explique Dereka, en faisant défiler sur son téléphone des photos du véhicule désossé et abandonné en pleine nature. Sauf le moteur, qui était trop lourd pour être transporté. ”
Casse-tête logistique et système D
Mais le transport de ce matériel lourd pose des problèmes logistiques importants, particulièrement lorsque ceux-ci doivent être récupérés près de la ligne de front : les T-72 entreposés dans le hangar pèsent ainsi 41,5 tonnes ; le BTR-82, 15,4 tonnes. Confrontés à une pénurie de véhicules de transport, les hommes de la 3ème brigade ont été contraints d’improviser : “Jusqu’au mois de décembre dernier, nous ne disposions pas de remorques pouvant transporter des blindés”, explique ainsi le lieutenant-colonel. Au cours des derniers mois, des volontaires ont fourni à l’unité plusieurs semi-remorques, que les mécaniciens ont élargis afin de pouvoir transporter des tanks, en y adjoignant des plaques de métal. “Nos hommes font preuve de beaucoup d’ingéniosité”, assure Dereka.
Bien que, selon les dires de l’officier, des missiles se soient abattus à plusieurs reprises à proximité du hangar, le lieu a jusqu’à présent été préservé des frappes russes. Mais dans l’Est de l’Ukraine, où se concentre l’essentiel des combats depuis les contre-offensives ayant libéré la région de Kharkiv et la ville de Kherson, tous n’ont pas le luxe d’effectuer des opérations de maintenance dans une relative sécurité. En lisière de forêt, quelque part à l’ouest de la ville dévastée de Bakhmout, les techniciens du 214e bataillon spécial “OPFOR” de l’armée ukrainienne doivent, eux, composer avec de fréquents bombardements. “Nous gardons nos véhicules dans les sous-bois, pour éviter d’être repérés”, explique Oleksandr, dit “Chimique”, un conducteur de blindé âgé de 28 ans.
Dans la direction de Kramatorsk, située à une vingtaine de kilomètres de leur position, une colonne de fumée noire s’élève à l’horizon. Un véhicule de combat BMP-1 surgit en rugissant d’un sous-bois, interrompant notre conversation. À grand renfort de jurons, “Chimique” intime à l’équipage de s’éloigner.
“Tous les jours, les gars accomplissent des miracles”, explique Andrii, un officier au sein de l’unité, en désignant d’un geste les mécaniciens inspectant les chenilles d’un véhicule maculé de terre. “L’âge des blindés rend leur maintenance et leur réparation difficiles. ” Le BMP-1 utilisé par le bataillon a ainsi été vu pour la première fois lors d’une parade s’étant tenue à Moscou en 1967. “Si ces véhicules pouvaient parler, ils auraient beaucoup d’histoires à nous raconter, explique-t-il. Certains d’entre eux ont probablement été utilisés lors de l’invasion de l’Afghanistan, en 1989. ”