Coups, dépôts d'excréments, incendie volontaire... En France, les élus locaux confrontés à "un phénomène qu’il faut prendre au sérieux”
L’actualité récente a été marquée par plusieurs faits violents ciblant des élus locaux. Le phénomène n’est pas neuf, mais il connaît une augmentation interpellante.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/c83846a5-4f52-4256-a322-74fcdf19034e.png)
- Publié le 07-06-2023 à 13h42
:focal(2779x1861:2789x1851)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/RS3UL47INFAGRNHF2F4DFBH3XE.jpg)
Premier coup de fil à un élu local et premières confidences. “Des violences à mon égard lors de mon mandat ? Bien sûr ! J’ai eu du caca humain à deux reprises sur ma voiture devant mon domicile à la suite d’une histoire de PV. J’ai dû battre en retraite un jour lors d’une altercation au sujet de chiens pas tenus en laisse. Je reçois des lettres anonymes à la mairie et des insultes sur Facebook”, énumère Isabelle Touzard, maire DVG de Murviel-lès-Montpellier.
En France, les élus locaux comptent désormais parmi les cibles privilégiées d’administrés en colère. Les chiffres sont éloquents : les violences à leur encontre ont augmenté de 47 % en 2021 et, de nouveau, de 32 % en 2022 d’après le ministère de l’Intérieur. En deux ans, elles ont donc presque doublé. “C’est un phénomène qu’il faut prendre au sérieux”, estime Denis Mottier, chargé de mission sécurité à l’Association des Maires de France, qui a mis en place avec la gendarmerie et la police nationales, grâce à l’expertise du GIGN et du Raid, des formations à la gestion des incivilités pour les élus locaux.
“J’ai reçu des coups et encore des coups”
Derrière les statistiques, il y a les témoignages de ces hommes et de ces femmes engagés à la tête de villes et de villages où ils vivent en famille, où ils travaillent, où ils sont nés parfois. Le 22 mars 2023, le maire de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), Yannick Morez, a été victime d’un incendie volontaire de son domicile alors qu’il y dormait avec ses enfants. Il a depuis démissionné et quitté la commune, jetant une lumière crue sur la solitude de l’édile face aux agressions. Plus récemment, dans la nuit du 3 au 4 juin, Edouard Babel, maire de Magnières (Meurthe-et-Moselle), un bourg de 300 âmes, a été violemment frappé devant la salle des fêtes alors qu’il demandait le calme à des personnes réunies pour célébrer un anniversaire. “Ils m’ont mis à terre. J’ai fermé les yeux et j’ai reçu des coups et encore des coups. J’ai fini par faire le mort, j’ai vraiment eu la peur de ma vie”, a-t-il confié à BFM.
Si Emmanuel Macron a théorisé son choix d’être un président “à portée de baffes” (il en a pris heureusement peu depuis le début de son premier quinquennat), les maires, eux, font régulièrement les frais de la violence des gens croisés dans la rue. “Dans les petites communes comme la mienne, on est vraiment au contact des gens. Avec des policiers municipaux en sous-effectifs et des gendarmes éloignés, on est livrés à nous-mêmes en cas de problèmes”, regrette Isabelle Touzard. De fait, plus encore que les édiles de grandes villes ou de quartiers difficiles, “ce sont surtout les maires de communes rurales et comptant peu d’habitants qui sont agressés”, précise Denis Mottier de l’AMF. A l’origine des insultes ou des coups, il y a souvent une opposition prononcée à un projet adopté par le conseil municipal ou des faits de petite délinquance (dépôts d’ordures, tapage nocturne) qui se répètent jusqu’au moment où le maire, poussé parfois par des riverains furieux, monte en première ligne et que la violence éclate.
“Un continuum entre la violence sur les réseaux sociaux et dans les conseils municipaux”
“Les élus locaux payent aujourd’hui un climat de défiance que vous [NdlR : le gouvernement] avez contribué à aggraver, a lancé dans l’hémicycle le 30 mars la sénatrice LR de Loire-Atlantique Laurence Garnier. Je rappelle qu’en 2018, l’actuel ministre de l’Intérieur avait publié la liste des maires augmentant la taxe d’habitation. S’est ensuivie la campagne de dénigrement #BalanceTonMaire”.
En guise de réponse, Olivier Véran, ministre chargé du Renouveau démocratique, a avancé quant à lui “plusieurs explications” : “Il y a tout d’abord une sorte de continuum entre la violence anonyme et sans conséquence des réseaux sociaux et la violence qui s’exprime dans la rue ou lors de conseils municipaux”. “C’est vrai que les réseaux sociaux peuvent exacerber la violence de certaines personnes déséquilibrées”, reconnaît l’élue Isabelle Touzard. “Ils fonctionnent comme des incubateurs de violences”, confirme Denis Mottier.
Le ministre avait renchéri : “On peut aussi identifier un continuum entre la violence qui s’exprime parfois au sein même de la maison du peuple, c’est-à-dire du Parlement -je parle essentiellement de l’Assemblée nationale, en particulier ces dernières semaines- et la violence qui peut s’exprimer dans la rue”. En février, un député LFI avait en effet accusé le ministre du Travail d’être un “imposteur” et un “assassin”. Et plusieurs élus interrogés estiment que la montée de la violence prend aussi sa source dans la radicalisation de la vie politique elle-même.
“Ces violences sapent l’envie de servir les autres”
Face à la recrudescence des attaques, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé sa volonté de “mieux protéger les maires” et lancé le 17 mai un Centre d’analyse et de lutte contre les violences faites aux élus. L’idée est de “cartographier” les faits pour pouvoir agir préventivement. Reste qu’après chaque agression de maire, l’exécutif multiplie les déclarations volontaristes. Comme, en 2019, après la mort du maire de Signes (Var), renversé par une camionnette dont le conducteur venait de déposer des gravats de chantier dans une zone non autorisée.
Pour Denis Mottier de l’AMF, il y a urgence à agir car “ces violences sapent l’envie de servir les autres”. Selon un sondage Ifop publié fin 2022, plus d’un maire sur deux (55 %) déclare ne pas souhaiter se représenter à la fin de son mandat, en 2026, un record en vingt ans. Et près d’un millier d’entre eux ont démissionné en deux ans. Les raisons sont multiples mais la violence de certains administrés est souvent mentionnée.