Comment l’affaire des archives a valu à Donald Trump une nouvelle et historique inculpation
L’ex-président est soupçonné d’avoir illégalement conservé des centaines de documents confidentiels.
- Publié le 09-06-2023 à 20h02
- Mis à jour le 09-06-2023 à 18h06
:focal(935.5x630.5:945.5x620.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JJAGMRAWIBDD7KKGD7KQUJQEQI.jpg)
Donald Trump est entré encore un peu plus dans l'histoire en devenant le premier (ancien) chef de l'État américain jamais poursuivi par la justice fédérale. Le New-Yorkais est soupçonné de s'être approprié des archives et documents confidentiels par centaines à son départ de la Maison-Blanche, au mépris à la fois de l'usage et de la loi, puis de les avoir retenus et dissimulés bien qu'ils lui soient réclamés par les archives nationales, puis le FBI. Parmi les dossiers saisis lors d'une perquisition surprise en août dernier à son beach club floridien de Mar-a-Lago, figuraient ainsi des dizaines de pièces classées confidentielles, certaines relevant du plus haut niveau du secret-défense. Des rapports de renseignement ayant trait notamment à une puissance nucléaire étrangère, aux programmes de missiles iraniens, ou encore à l'espionnage du rival chinois mais aussi, un intrigant dossier consacré, semble-t-il, au président français Emmanuel Macron.
Sept chefs d’accusation
À l'issue de sept mois d'investigations conduites par le procureur spécial Jack Smith, le département de la Justice a signifié jeudi soir à Donald Trump son inculpation au titre d'au moins sept chefs d'accusation, dont les termes exacts demeurent à confirmer mardi lors d'une comparution devant la cour fédérale de Miami. La teneur en fut éventée dès jeudi soir par l'un des avocats de l'ex-président lors d'un entretien télévisé accordé à CNN : détention volontaire de documents susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale (en infraction de l'Espionage Act de 1917), obstruction à une enquête criminelle, déclarations mensongères et association de malfaiteurs figureraient sur l'acte d'accusation. Or, bien que M. Trump se soit retranché derrière une prétendue déclassification des pièces saisies chez lui (allant jusqu'à prétendre, auprès de Fox News, avoir le pouvoir absolu d'opérer une telle chose par la seule force de la pensée), ce n'est pas là un enjeu déterminant à la lumière de l'Espionage Act : documents soient classifiés ou non, une atteinte délibérée à la sécurité nationale pourrait suffire à l'exposer à une condamnation à dix ans de prison.
Selon plusieurs médias américains, les faits d’obstruction - certains passibles de vingt ans d’emprisonnement - auraient été établis par de nombreux témoignages et enregistrements, y compris de propos tenus par Donald Trump lui-même, contredisant ses dires en public. Les soupçons des enquêteurs ont aussi été nourris par l’ordre passé à des employés de déplacer des caisses de documents entre divers recoins de Mar-a-Lago, alors la justice en exigeait la restitution. Ou encore par ce dégât des eaux survenu l’automne dernier, à la faveur d’une vidange de la piscine ayant inondé la salle des serveurs de la vidéosurveillance du club, où étaient stockées des données réclamées par les enquêteurs.
De nombreuses inconnues demeurent cependant, et en premier lieu le fond des motivations de Donald Trump - orgueil, chantage, commerce ?
Favori des sondages
Le milliardaire s'est empressé de rendre publique son inculpation via une gerbe de posts sur les réseaux sociaux, suivis d'appels aux dons. Jack Smith comme le ministère de la Justice s'en tiennent, eux, à la ligne de stricte réserve, laissant les actes judiciaires s'exprimer seuls. Quitte à laisser le champ libre au président déchu, candidat à un retour à la Maison-Blanche l'an prochain et favori des sondages en vue de la primaire républicaine, pour se présenter en "homme innocent", victime d'une persécution politique orchestrée depuis la Maison-Blanche par une "administration Biden totalement corrompue". C'est "une guerre", que lui livreraient ses adversaires démocrates, assène-t-il dans une vidéo postée sur le réseau Truth Social.
Chœur de soutiens républicain
Rien ne laisse encore deviner quelle sera la réaction de la base d'électeurs trumpolâtres, jusqu'ici galvanisée par chaque nouvel obstacle semé en travers de l'opération revancharde de leur champion. Mais nombre d'alliés, élus et responsables républicains n'auront pas attendu de connaître le détail de l'inculpation pour répondre à l'appel. Du speaker de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, jusqu'aux principaux challengers de Trump dans la primaire républicaine, Nikki Haley et Ron DeSantis en tête, tous ou presque déplorent de concert "un jour sombre pour l'Amérique", et promettent de faire "rendre des comptes" au ministère de la Justice et au FBI pour une telle "instrumentalisation" partisane, forcément partisane, des moyens de l'État contre le rival du président Biden.
Ce refrain-là est rodé : ce n'est pas Donald Trump qui use de sa campagne comme d'un bouclier contre les d'accusations auxquelles il fait face, mais celles-ci qui l'assaillent parce qu'il menacerait "l'État profond" et le pouvoir en place. Et cette sempiternelle partition, qui lui tient lieu à la fois de martyrologie personnelle, de ligne de défense et de logiciel de campagne (voter pour lui, c'est lui permettre de se sauver, et de sauver ensuite l'Amérique en retour), sera resservie à chaque nouvelle station de ses ennuis judiciaires, jusqu'à l'évaporation de son emprise sur une majorité de l'électorat conservateur, que rien ne le laisse encore présager.
Une cohorte d’ennuis judiciaires
La primaire républicaine aura peut-être rendu son verdict avant même que M. Trump ne voie la couleur d’un procès, mais une multitude d’autres tracas le guettent d’ici-là. En Géorgie, dont la procureure doit se prononcer cet été sur sa tentative de renverser sa défaite lors de l’élection 2020. À Washington, où le même procureur spécial Smith investigue sur son rôle dans l’insurrection de ses fans contre le Capitole le 6 janvier 2021 - soit le seul dossier constitutionnellement susceptible de barrer à Trump la route de la Maison-Blanche, s’il devait être reconnu coupable de "sédition". Toute autre condamnation, et même son éventuelle incarcération avant l’élection, l’autoriserait théoriquement à demeurer candidat, jusqu’en prison.
Cette nouvelle mise en examen constitue cependant bien plus qu'un simple soubresaut supplémentaire de la routine d'ennuis judiciaires de l'ancien président - après son inculpation déjà historique, début avril, par le procureur de l'État de New York dans l'affaire dite "Stormy Daniels" (du nom de la porn star qui aurait été sa maîtresse), puis sa condamnation pour "agression sexuelle et diffamation" dans le procès au civil intenté par la chroniqueuse E. Jean Carroll. L'enclenchement de telles poursuites suppose qu'un faisceau conséquent de témoignages et de preuves brassés par l'instruction a su convaincre un grand jury populaire d'opérer un tel saut dans l'inconnu.
Donald Trump demeure présumé innocent mais son armée d’avocats l’aura peut-être informé qu’une fois franchi le seuil d’une inculpation fédérale, pas moins de 99,6 % des prévenus dont le procès est allé à terme en 2022 furent reconnus coupables et firent l’objet d’une condamnation.