Le Monténégro s’apprête à tourner une page importante
Les législatives de dimanche devraient mettre un terme à un règne, peu glorieux, de trente ans.
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- Publié le 10-06-2023 à 09h07
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Avec les législatives de ce dimanche, le Monténégro devrait achever le processus de transition démocratique engagé en 2020, quand le Parti démocratique des socialistes (DPS) a été battu par une coalition hétéroclite allant des partis pro-serbes et pro-russes du Front démocratique au mouvement citoyen URA, membre des Verts européens. Tous n’avaient en commun que la volonté d’en finir avec le régime autoritaire, clientéliste et corrompu de Milo Djukanovic, au pouvoir depuis 1991.
Sonné par sa défaite, celui-ci a réagi en exacerbant les tensions qui traversent ce petit pays des Bal-kans, accusant la nouvelle majorité d'être à la solde de la puissante Église orthodoxe serbe, de nier l'identité nationale monténégrine et même de vouloir revenir sur l'indépendance, restaurée en 2006… Les réseaux de "patriotes" monténégrins ont multiplié manifestations et barrages routiers, tenant d'alimenter un climat de quasi-guerre civile, mais le scénario n'a pas pris. "Les gens sont las des querelles identitaires dont on les a gavés durant trente ans", explique la journaliste Milka Tadic Mijovic.
Une nouvelle génération politique
Lors des scrutins municipaux partiels qui se sont succédé ces deux dernières années, le DPS n'a essuyé que des échecs, perdant même à l'automne 2022 son bastion de la capitale Podgorica, où habite un tiers des citoyens du pays. C'est lors de ces élections que le nouveau mouvement L'Europe maintenant (PES), créé par deux jeunes économistes, Jakov Milatovic et Milojko Spajic, respectivement ministres de l'Économie et des Finances du gouvernement "d'experts" mis en place fin 2020, a fait une percée. "Pour la première fois, se réjouit Milka Tadic Mijovic, les gens n'ont pas voté au nom du Monténégro ou de la Serbie, mais pour avoir des frigos pleins."
La popularité du PES s’explique en effet par les fortes hausses de salaires décidées par ses deux dirigeants.
Milo DJukanovic a tenté de jouer une autre carte, celle de la crédibilité internationale du petit pays, candidat à l’intégration européenne depuis 2010 et membre de l’Otan depuis 2017. Avec l’opposition, assurait-il, le Monténégro allait tomber dans l’escarcelle russe. Il n’en a rien été. Le Premier ministre Dritan Abazovic, issu du mouvement URA, a clairement maintenu le cap pro-occidental. Il a même été le premier dirigeant des Balkans à se rendre à Kiev, en mai 2022, avec son homologue d’Albanie.
Des opérations "mains propres"
Les trois années de "transition" n’ont pourtant rien eu d’un long fleuve tranquille. Devenu Premier ministre en avril 2022, Dritan Abazovic a perdu la confiance du Parlement quelques mois plus tard, continuant à diriger un exécutif "technique".
Cette situation politique inconfortable a bloqué plusieurs réformes importantes, mais Dritan Abazovic a réussi à marquer des coups importants contre le crime organisé, s’attaquant aux clans mafieux de la drogue, mais aussi à ceux qui furent longtemps leurs protecteurs au sein de la police et de la justice.
"Même si l'expérience de l'alternance ne dure que quelques mois, plus rien ne sera jamais comme avant. Le système du parti unique a été battu", assurait Dritan Abazovic quelques jours après les élections du 30 août 2020. Avec lui, le Monténégro a eu, pour la première fois de son histoire, un Premier ministre issu de la minorité albanaise (7 % de la population totale du pays). C'est une première dans des Balkans où les politiciens construisent trop souvent leur carrière sur des références identitaires ou ethniques.
Petit pays patriarcal, pétri de culture épique et guerrière, le Monténégro est aussi la seule république de l'ancienne Yougoslavie à n'avoir pas connu de conflit armé sur son sol. Šerbo Rastoder a bien une explication : "Le pays a failli sombrer à plusieurs reprises dans la guerre civile, mais au dernier moment, la retenue a toujours prévalu, comme si tout le monde savait qu'ici, une guerre civile serait particulièrement féroce, déchirant les familles, n'épargnant personne. Cette menace a agi comme une forme de dissuasion nucléaire, nous évitant de basculer."