"La tendance actuelle en Russie est clairement à la radicalisation" : Vladimir Poutine, le meilleur du pire ?
Engagé dans une guerre qu’il pensait remporter rapidement, Vladimir Poutine et son armée s’enlisent dans un conflit dont on ne voit plus l’issue. Impitoyable, le président russe se montre toutefois déterminé à remporter la victoire et à conserver le pouvoir. Mais pour combien de temps ? Et avec quelle possible relève ? Analyse avec Kris Quanten, professeur d’histoire militaire à l’école Royale Militaire (ERM).
- Publié le 28-08-2023 à 12h46
- Mis à jour le 28-08-2023 à 13h44
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Le soulèvement des hommes de Wagner en juin dernier a quelque peu déstabilisé la toute-puissance du président russe. Evgueni Prigojine, longtemps considéré comme un de ses hommes de confiance, lui a “planté un poignard dans le dos” selon les déclarations de Vladimir Poutine, qui l’a selon toute vraisemblance fait éliminer dans la foulée. Aussi surprenant que cela puisse paraître, force est de constater qu’il reste encore des personnes capables de se rebeller contre l’autorité de Poutine. En dépit de la mort de Prigojine et de son bras droit Dmitri Outkine, reste à savoir si d’autres adversaires ont perçu la mutinerie comme un aveu de faiblesse et, de ce fait, comme une possibilité de creuser la brèche.
“Certains analystes locaux estiment que les autres loups ont senti l’odeur du sang et qu’il peut y avoir des tentations” explique la spécialiste de la Russie (UCLouvain), Laetitia Spetschinsky dans une interview accordée à La Libre. En évoquant les candidats susceptibles, un jour, de remplacer Poutine, la spécialiste reconnaît qu’il sera difficile de le savoir à l’avance. “Son successeur doit probablement se trouver dans le gouvernement russe actuel, mais il est difficile de savoir qui ce sera. En tous les cas, il faut espérer que ce ne sera pas un des membres du Conseil de Sécurité. Y siègent les grands méchants, les ultra-durs que l’on n’a pas envie de voir arriver au pouvoir”, explique-t-elle.
Un conseil de sécurité au service de la présidence
Le “Conseil de sécurité russe” évoqué par la chercheuse est un forum pour la coordination de la sécurité nationale. Il est présidé par Vladimir Poutine et son vice-président n’est autre que l’ancien président russe, Dmitri Medvedev. Nommé à la présidence de 2008 à 2012, Medvedev, avait été accusé de corruption par l’opposant, Alexeï Navalny, qui vient d’être condamné à 19 ans de prison suite à un procès arbitraire expéditif. Celui qui a gardé au chaud le siège de la présidence pour Vladimir Poutine pendant 4 ans bénéficie depuis 2020 d’une immunité à vie grâce au président. En effet, une loi passée sous l’impulsion de Poutine élargit dorénavant l’immunité des présidents en fonction à tous les anciens chefs d’État russes. “Le dernier cadeau de Poutine à Medvedev : la garantie que tant qu’il sera au pouvoir, rien ne lui arrivera”, souligne le politologue Fiodor Kracheninnikov, dans une interview de Libération.
Médiatisé pour sa partie de pêche torse nu sous le soleil sibérien avec le président, Sergueï Choïgou, nommé ministre de la Défense en 2012, y siège également. En charge d’une armée gangrenée par la corruption, cet ingénieur de formation était l’une des principales figures visées par la rébellion avortée de Wagner en juin. Jugé incompétent, il avait été pris pour cible par Prigojine, qui soulignait notamment le retard des livraisons de munitions à ses mercenaires, placés en première ligne pendant la bataille de Bakhmout. Le porte-parole du Kremlin à l’internationale, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, est lui aussi membre permanent du conseil. Celui l’on appelle “M. Niet”, est décrit comme sévère et intransigeant. “Il fait le job, il sert l’État ou Poutine, sans peut-être faire de différence'”, déclare Tatiana Stanovaya, analyste politique du Centre Carnegie Russie. On notera également la présence de Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité et d’Alexandre Bortnikov, directeur du Service fédéral de sécurité (FSB). “Dans ce régime autocratique, c’est très souvent Poutine qui impulse les directions et c’est au Conseil de sécurité de les approuver et de les officialiser. À ma connaissance, il n’y a pas vraiment de voix modératrices”, commente le professeur d’histoire militaire, Kris Quanten.
Pour se maintenir au pouvoir, le président russe a pris le soin de placer les bonnes personnes aux bons postes. “Si l’armée se tournait contre Poutine, il aurait un fameux problème, affirme notre interlocuteur. C’est bien entendu la raison pour laquelle il maintient Choïgou comme ministre de la Défense. Il se présente sous le couvert d’un uniforme militaire mais il n’est pas un militaire. C’est un ami de longue date de Poutine et ce n’est pas pour rien qu’il le positionne à cette fonction-là” poursuit-il. Pour l’expert, il en va évidemment de même pour Medvedev et ses acolytes.
Des alternatives à Poutine ?
Vladimir Poutine a tout intérêt à gagner la guerre en Ukraine, une défaite aurait de lourdes conséquences sur son avenir, explique Kris Quanten. “Si les Ukrainiens parviennent à percer le front, à reconquérir le terrain et que les Russes doivent se retirer, ça serait le scénario catastrophe pour Poutine. Il risque d’être lourdement critiqué à l’intérieur de son pays. Si ce scénario-là se réalise, il est quasiment sûr qu’il sera écarté”, affirme-t-il.
Existe-t-il d’autres menaces possibles pour le président ? Oui, mais peu sont pour l’instant crédibles, selon notre interlocuteur. Un coup d’État n’est pas à écarter, mais, depuis le soulèvement de Wagner, Poutine en a tiré des leçons claires. “Ce que nous observons, c’est que toutes les forces armées, tout ce qui est militaire, mercenaire et les forces régulières, sont regroupés au sein de l’armée. En d’autres termes, c’est Choïgou qui contrôle tout dans le but de remettre de l’ordre.” Qui plus est, le monde entier est témoin du sort effroyable réservé aux potentiels opposants à son régime.
Une troisième possibilité serait un soulèvement de la population russe, ce qui est jugé très peu probable vu la propagande nationale et l’appareil répressif russe très efficaces.
Malheureusement, remplacer Poutine ne supposerait pas nécessairement une transition vers un régime plus modéré et plus ouvert aux influences de l’Occident, au contraire. Car si Poutine est un dirigeant nationaliste, les membres du Conseil de sécurité tiennent, quant à eux, des propos ultranationalistes et menaçants. “Des critiques sur Poutine ont bien été manifestées. Par qui ? Par la voix du camp ultranationaliste. Il ne faut se faire aucune illusion, Prigojine était un ultranationaliste. Une prise de pouvoir par Prigojine ne présageait rien de bon. La tendance actuelle en Russie est clairement à la radicalisation. Les réactions prônent plus de nationalisme”, explique Kris Quanten. “Quelle serait l’alternative ? Medvedev ? Lorsque l’on écoute ses discours, il n’hésiterait pas à utiliser l’arme nucléaire contre l’Occident”, conclut-il.