Intrigues politiques en Libye autour d’Israël : la cheffe de la diplomatie a-t-elle été piégée ou sacrifiée ?
La cheffe de la diplomatie libyenne a été limogée dimanche après une rencontre avec son homologue israélien. Les deux pays n’entretiennent aucune relation officielle, mais les États-Unis pousseraient pour un rapprochement.
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- Publié le 30-08-2023 à 10h18
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Voilà une affaire qui fait grand bruit au Moyen-Orient et dans le nord de l’Afrique. Ce dimanche, le chef du gouvernement libyen basé à Tripoli – Abdelhamid Dbeibah – a limogé la cheffe de sa diplomatie, Najla Al-Mangoush. Motif : une rencontre de l’officielle libyenne avec son homologue israélien, Eli Cohen, à Rome la semaine dernière. Officiellement, la Libye ne reconnaît pas Israël et s’oppose à toute normalisation avec le pays. En vertu d’une loi datant de 1957, toute relation avec Israël, ses ressortissants, ou toute entité le représentant est passible de poursuites pénales.
M. Dbeibah a donc annoncé – depuis l’ambassade palestinienne de Tripoli – que la position de Mme Al-Mangoush “ne (représentait) pas le gouvernement libyen ni son peuple” et qu’une enquête administrative serait ouverte à son encontre. Fin de l’histoire… ou presque. Car selon la très grande majorité des observateurs, il est impossible que le chef du gouvernement n’ait pas été au courant, et fort probable qu’il ait sacrifié sa ministre pour sauver sa tête, dans un contexte géopolitique tendu.
Un bouc émissaire
Des élections devaient théoriquement se tenir en Libye fin 2021 dans le cadre du processus de paix parrainé par l’Onu, avant d’être reportées sine die en raison des profondes divisions qui opposent les différents camps. Depuis deux ans, deux gouvernements se disputent le pouvoir : Abdelhamid Dbeibah tient les rênes à l’Ouest, le maréchal Haftar à l’Est. Tous deux tentent sans arrêt de discréditer l’autre.
Selon Anas El-Gomati, fondateur du think tank politique Sadeq Institute, basé à Tripoli, des pourparlers seraient en cours “pour créer un nouveau gouvernement intérimaire entre les familles Dbeibah et Haftar, négocié à Abou Dabi”. L’Onu comme les États-Unis mettraient tous deux la pression sur les autorités pour que soit formé le plus rapidement possible un gouvernement de technocrates, et ces derniers auraient “exercé des pressions (sur la Libye) pour qu’elle adhère aux accords d’Abraham” de normalisation des relations entre les pays arabes et Israël, y conditionnant “un soutien américain” à toute formation de gouvernement.
Un coup de Tel-Aviv ?
C’est ici qu’Israël entre en scène. Selon Anas El-Gomati, “la survie” politique de M. Dbeibah “dépend surtout des relations et des alliances qu’il entretient au-delà des frontières libyennes avec de puissants acteurs régionaux”. Celui-ci a peut-être tenté un coup politique en envoyant sa cheffe de la diplomatie discuter discrètement – Mme Al-Mangoush a elle-même qualifié cette rencontre de “fortuite et non officielle” – avec Israël, pour contourner la position libyenne officielle et renforcer sa position. Or, “le soutien de Tel-Aviv au maréchal Haftar n’est un secret pour personne” poursuit Anas El-Gomati, qui pointe la source de cette crise politique.
C’est le service de presse d’Eli Cohen, lui-même, qui est à l’origine de l’information et a dévoilé dimanche qu’une rencontre “inédite” avait eu lieu avec la diplomate libyenne. Pour le directeur du Sadeq Institute, une telle annonce pourrait bien être destinée “à faire pencher la balance en faveur de Haftar, en acculant Dbeibah […] pour le pousser à abandonner le pouvoir (ou) le contraindre à un compromis avec le camp de Haftar”.
Selon la chaîne de télévision saoudienne Ar-Arabiya, le ministère israélien des Affaires étrangères n’a d’ailleurs pas hésité à enfoncer le clou, lundi, en déclarant que la réunion avait bien été planifiée “au plus haut niveau”. En limogeant Najla Al-Mangoush, Abdelhamid Dbeibah pensait sans doute limiter la casse et éviter que les Libyens ne se retournent contre lui. C’est raté, des mouvements de protestation ont éclaté dimanche à Tripoli et dans plusieurs villes du pays. La maison du Premier ministre elle-même a été attaquée, et des groupes de jeunes ont bloqué des routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien. Mme Al-Mangoush, elle, aurait rejoint la Turquie dans la nuit.