"Ce pays ne nous paraît pas du tout sûr”: le Mexique, seule porte de sortie pour de nombreux Russes fuyant le régime de Poutine
À peine arrivés en territoire mexicain, les réfugiés russes cherchent à gagner la frontière nord pour demander l’asile aux États-Unis.
- Publié le 31-08-2023 à 16h51
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Cela fait maintenant deux mois que Maxime et son épouse Marina ont quitté la Russie, au milieu du dernier cycle printanier de mobilisation des forces réservistes pour aller combattre en Ukraine. Maxime a-t-il finalement été appelé ? Il n’en est pas sûr et ne souhaite pas le vérifier. Assis dans sa tente à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, tout ce qu’il peut dire est qu’il avait le “profil” du point de vue des “commissariats des forces armées” (Vojennye komissariaty) en charge du recrutement militaire et de la conscription aux quatre coins du pays.
“Aujourd’hui en Russie, les hommes comme moi, qui ont fait leur service militaire, qui ont une expérience avérée de maniement des armes et qui sont en bonne santé doivent s’attendre à devoir rejoindre les combats d’un jour à l’autre”, explique ce jeune ex-policier de Saint-Pétersbourg depuis un campement de migrants de Reynosa, du côté mexicain de la vallée du Rio Grande, fleuve qui sépare cette ville de MacAllen côté texan. Raison pour laquelle le couple a pris son envol au début de l’été, profitant de l’existence de vols directs Moscou-Cancun et de l’exemption de visa dont les ressortissants russes continuent à bénéficier au pays des mariachis.
La seule porte de sortie
À peine arrivés en territoire mexicain, les réfugiés russes comme Maxime et Marina cherchent à gagner la frontière nord, bien souvent à bord de vols intérieurs pour minimiser les risques. “Nous ne connaissons pas ce pays et il ne nous paraît pas du tout sûr”, confie Agata Morenbaum, qui pour sa part a fait le long voyage depuis Iékaterinbourg, dans l’Oural, pour finalement poser ses valises dans un autre campement de migrants – principalement russes – collé aux barbelés qui entourent le couloir d’entrée au point de passage frontalier entre Brownsville et Matamoros, à une heure de Reynosa.
Pour cette ex-participante aux manifestations anti-conscription de l’automne 2022 comme pour beaucoup d’autres Russes sans visa Schengen, ce Mexique qui les effraie tant s’est pourtant imposé de plus en plus clairement comme la seule porte de sortie pour ne pas rester en Russie. Surtout depuis que des pays voisins comme le Kazakhstan et le Kirghizstan ont commencé à accepter certaines demandes d’extradition d’opposants au Kremlin de la part du régime de Vladimir Poutine.
La Géorgie, pays qui abrite actuellement le plus grand nombre d’exilés russes en raison de la guerre en Ukraine, aurait fait l’objet de pressions similaires en provenance de Moscou, auxquelles elle pourrait finir par céder selon certaines analyses.
Des hôtels frontaliers remplis de réfugiés russes en attente
Youri Rusakov a pu quant à lui se permettre une chambre d’hôtel dans le centre-ville de Matamoros. Disposant d’un visa Schengen pour le tourisme, il avait tout de même décidé d’essayer de se rendre en Allemagne en premier lieu, avant de se rendre compte que sa demande d’asile avait peu de chance d’y être acceptée. “J’ai vu tomber en février dernier plusieurs décisions de l’Office fédéral pour la migration refusant l’asile à des compatriotes objecteurs de conscience qui avaient refusé d’enfiler l’uniforme. Si le cas d’un appelé n’était pas jugé assez convaincant, mon cas avait encore moins de chance de l’être”, explique-t-il en contenant difficilement sa déception.
Alors que son visa Schengen pour le tourisme touchait à sa fin, ce professeur d’anglais moscovite se tenait à l’écart de la politique et de l’opposition au régime de Vladimir Poutine jusqu’à sa participation récente aux rassemblements antiguerre en début d’année. Il a fini lui aussi par rejoindre les quelque 5000 réfugiés russes actuellement bloqués dans les villes frontalières mexicaines, en attente d’un rendez-vous avec un officier en charge des questions d’asile côté américain.
Ces rendez-vous, depuis l’entrée en vigueur en janvier dernier d’un nouveau régime de gestion des demandes d’asile transfrontalières (connu aux États-Unis sous le terme de “Titre 8”), doivent être pris par le biais de l’application “CBP One” de la police américaine aux frontières. Du matin au soir, le réceptionniste de l’hôtel où résident Youri et sa famille entend ainsi des voix russophones s’élever de part et d’autre du lobby : le seul mot qu’il comprend est “CBP One”, alors que les nombreux exilés russes qui peuplent désormais les lieux sympathisent entre eux et s’échangent des astuces sur le fonctionnement de cette application gouvernementale réputée lente et très peu intuitive.
Néanmoins, en s’armant de patience et de détermination, la plupart d’entre eux parviennent tôt ou tard à obtenir le rendez-vous, à la suite duquel ils peuvent être autorisés à pénétrer sur le territoire américain si l’officier d’asile américain juge la demande suffisamment crédible pour être traitée.
Alors que près de neuf mille demandeurs d’asile russes ont pu entrer aux États-Unis de cette manière depuis le début de la guerre, l’inconnue de l’équation est aujourd’hui la posture des autorités mexicaines. Celles-ci ont en effet maintenu leur exemption de visa vis-à-vis des ressortissants russes tout en multipliant les refoulements de ces derniers aux aéroports de Cancún et Mexico, pour des raisons qui ne font toujours pas l’objet d’une explication officielle.