Hôtels de luxe, villas... Sur quoi portent les accusations à l'encontre du président égyptien Al Sissi?
Un chef d’entreprise du BTP dénonce les dépenses colossales et superflues du régime militaire.
Publié le 21-09-2019 à 12h19 - Mis à jour le 21-09-2019 à 19h40
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Un chef d’entreprise du BTP dénonce les dépenses colossales et superflues du régime militaire.Oui, j’ai construit des palais présidentiels et j’en construirai d’autres. Je suis en train de construire une nouvelle nation", a déclaré l’ex-maréchal Abdel Fattah al Sissi, le 14 septembre, dans un centre de conférences du Caire, détenu par l’armée. "Mais rien n’est à mon nom, tout est au nom de l’Égypte", a ajouté, sans plus de précision, le chef de l’État égyptien, qui a récemment fait ratifier une nouvelle constitution lui permettant de rester au pouvoir jusqu’en 2030.
De son propre aveu, les services de sécurité l’auraient "supplié" de rester silencieux face aux attaques de l’entrepreneur et acteur Mohamed Ali. Mais il était devenu impossible d’ignorer les millions de vues générées par ce nouvel opposant, à la voix rauque et mimiques plagiant Al Pacino. Sauf que les propos du président ont eu l’inverse de l’effet escompté. Le mot-clé "Ça suffit Sissi !", lancé par cet homme d’affaires, est devenu le plus partagé sur les réseaux sociaux depuis le dimanche 15 septembre.
Hôtels de luxe et villas en pleine austérité
L’ampleur de la polémique autant que le profil de ce nouvel agitateur inquiètent les autorités. S’exprimant depuis sa résidence espagnole, le PDG égyptien d’Amlaak Group est le premier partenaire du régime à se retourner contre lui et révéler une partie de ses dépenses tenues secrètes. Au service de l’armée égyptienne depuis 15 ans, Mohamed Ali a cru pouvoir profiter des mégaprojets immobiliers lancés par l’actuel président. Mais après avoir décroché d’importants contrats de construction d’hôtels, villas et bâtiments publics, il raconte avoir déchanté. Pressions, corruption et factures impayées l’ont convaincu de s’exiler et d’investir ailleurs. Le plus emblématique de ses projets égyptiens est la construction d’un hôtel 7 étoiles, en banlieue résidentielle du Caire, pour un général aussi impatient que proche du président. Avant même que les plans soient prêts, ses ouvriers ont dû creuser les fondations de ce chantier à 120 millions de dollars, que le général voulait voir rapidement depuis son balcon. L’entrepreneur accuse également le gouvernement de lui devoir plus de 13 millions de dollars. Agacés par ses relances, ses interlocuteurs militaires l’auraient menacé de poursuites. Si l’homme de 45 ans ne fournit aucun document pour étayer ses dires, son CV et ses photos aux côtés de généraux suffisent à le crédibiliser aux yeux de l’opinion publique.
Pour la plupart des Égyptiens, conscients de la toute-puissance de l’armée revenue au pouvoir en 2014, ses déboires n’ont rien de surprenant. Sa fulgurante popularité s’explique surtout par sa démonstration du fossé entre les sacrifices demandés à la population et les coûteux caprices de ses dirigeants. En 2016, l’Égypte obtient un prêt de 12 milliards de dollars auprès du FMI en contrepartie de mesures d’austérité. Depuis, Abdel Fattah al Sissi ne cesse de répéter que les ressources du pays sont limitées et que les dépenses publiques doivent baisser. "Si nous sommes pauvres, le président a-t-il vraiment besoin de cinq nouvelles villas et un château ?" interroge le constructeur dans l’une de ses vidéos. Question on ne peut plus rhétorique dans un pays qui comptabilisait déjà 42 palais présidentiels en 2011, lors de la chute d’Hosni Moubarak.
Mainmise de l’armée sur l’économie
Nouveau porte-voix autoproclamé des classes populaires assommées par l’inflation, Mohamed Ali traduit aussi le mécontentement grandissant du secteur privé. "Nous sommes nombreux à nous plaindre, mais il est le seul à pouvoir en parler car il est hors d’Égypte. Depuis qu’al Sissi est au pouvoir, il n’y a plus d’appels d’offres pour les marchés publics. Tout passe directement par l’armée, sans transparence ni stratégie", déplore le PDG d’une société d’export qui a suspendu son activité, faute d’appui suffisant au sein de l’état-major égyptien. Acteur incontournable de l’économie égyptienne depuis des décennies, l’armée n’a jamais été aussi gourmande de nouvelles parts de marchés. Quitte à briser la concurrence.
À la tête de plusieurs dizaines d’entreprises, des généraux en service ou à la retraite ont récemment investi dans le secteur pharmaceutique, le ciment ou encore l’agroalimentaire. Avec le privilège de ne pas payer la TVA imposée, en revanche, aux entreprises privées. Le ministère de la Production militaire, qui supervise une vingtaine d’entreprises, va générer 800 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2018-2019, soit cinq fois plus qu’en 2013-14, selon une enquête de Reuters.
L’armée mène actuellement 2 300 projets, employant 5 millions de personnes, selon son propre porte-parole. Officiellement, l’armée ne pèserait pas plus de 2 % dans l’économie. Mais selon plusieurs observateurs, son poids dépasserait désormais les 50 %. Cet expansionnisme opaque décourage les investissements étrangers hors pétrole, qui ont chuté de moitié en l’espace d’un an.