En Tunisie, une révolution est attendue... au parlement
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Publié le 05-10-2019 à 15h57 - Mis à jour le 05-10-2019 à 18h37
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Le scrutin législatif de dimanche devrait remodeler en profondeur le parlement. Avec un tel tir groupé électoral, la Tunisie peut sembler consolider avec succès sa toute jeune expérience démocratique. Pourtant, des menaces planent sur le régime politique mis en place depuis la révolution, dont la moindre n’est pas sa légitimité représentative. Plus de sept millions de Tunisiens sont appelés aux urnes ce dimanche, trois semaines après l’élection présidentielle qui livrera son vainqueur lors du second tour organisé la semaine prochaine. Le scrutin législatif de ce dimanche va redistribuer les 217 sièges de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il s’agit des troisièmes législatives libres depuis la révolution de Jasmin, cinq ans après celles d’octobre 2014 qui consacraient la nouvelle constitution adoptée en janvier de cette année-là.
Plus 1 500 listes (totalisant 15 000 candidats) y participent, dont plus du tiers sont des indépendants. Une configuration qui reflète le contexte et les enjeux du scrutin.
Une incertitude politique marquée
La fragmentation de l’offre politique et l’importante proportion des listes non partisanes constituent des marqueurs importants de ce scrutin. Et pas seulement puisque pareille pléthore de candidatures avait aussi marqué l’élection présidentielle : vingt-six noms avaient été retenus sur… nonante-sept dossiers déposés. Cette situation promet des lendemains législatifs ouverts et, surtout, très incertains. Car vu le rejet de la classe politique traditionnelle et le succès des candidats indépendants - deux enseignements du scrutin présidentiel - la configuration du prochain parlement (monocaméral en Tunisie) pourrait être éclatée en une multitude de forces politiques. Cela pourrait rendre difficile la constitution d’une coalition majoritaire, qui aura bien besoin du délai légal de deux mois prévu à cet effet. C’est d’autant plus vrai qu’"aucun compromis ou pacte politique pré-électoral n’adoucit la compétition", souligne subtilement Michael Ayari, analyste en chef pour la Tunisie à l’International Crisis Group (ICG).
L’enjeu de la légitimité des partis traditionnels
La constitution d’une majorité de consensus - "contre-nature" disent certains analystes - entre les deux principales forces politiques issues des élections de 2014, Ennahda (islamo-conservateur) et Nidaa Tounes (centriste et laïc), a laissé des traces. Tout comme la multiplication des querelles depuis deux ans au sein de ce dernier, entre son chef et président de la République Béji Caïd Essebsi et le Premier ministre Youssef Chahed, qui a paralysé l’action gouvernementale. Le chef de gouvernement l’a d’ailleurs sévèrement payé dans les urnes il y a trois semaines, étant éliminé de la présidentielle après n’avoir réussi que le cinquième score. Son parti Tahya Tounes (Vive la Tunisie) se veut rassembleur en jouant sur le scénario catastrophe de l’anarchie.
Ennahada, qui a limité la casse en classant son candidat troisième, a bien compris que l’un des enjeux de ce nouveau scrutin réside dans la légitimité des grands partis. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir son chef et fondateur Rached Ghannouchi se présenter pour la première fois, à 78 ans, dans la capitale Tunis. Certains lui prêtent l’ambition d’obtenir le perchoir de l’assemblée. Mais la nouvelle alliance islamo-populiste Karama (Dignité) du jeune avocat Seifeddine Makhlouf lui taille des croupières.
Une fatigue démocratique prématurée
Huit ans et demi après la révolution de Jasmin, la Tunisie est confrontée à une fatigue démocratique précoce pour un État supposé être en pleine consolidation de sa pratique démocratique. Cela se traduit par une double crise, de la participation électorale et de la représentation politique, qui sera encore au cœur de ce scrutin.
La faiblesse du taux de participation s’est confirmée lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 15 septembre, à laquelle un peu moins d’un électeur sur deux a pris part. Elle s’était déjà exprimée au printemps 2018, le premier scrutin municipal d’après-révolution ayant vu seulement un électeur sur trois se déplacer dans les isoloirs. La seconde crise, celle de la fonction politique, est marquée par la multiplication de candidats populistes et par le désaveu généralisé de la classe politique traditionnelle, principalement issue de l’ancien régime. Ce double mouvement s’est traduit par la qualification de deux néophytes en politique lors du premier tour de la présidentielle.
Les interférences avec l’élection présidentielle
Arrivé en tête du premier tour de la présidentielle, Kais Saïed, un professeur de droit constitutionnel qui plaide pour une refonte du système politique, cultive son indépendance : il n’a donné aucune consigne de vote mais certains partis (comme Ennahda) se sont dits prêts à le soutenir. Son rival, le magnat des médias Nabil Karoui, emprisonné dans des circonstances floues un peu avant le premier tour pour des soupçons de blanchiment d’argent et de fraudes fiscales, a multiplié les aides caritatives aux plus démunis dans les régions. Sa popularité de candidat brocardant le système - bien qu’issu de celui-ci - de même que le mouvement de sympathie que lui vaut son incarcération, pourraient se traduire en suffrages nourris pour son parti Qalb Tounes (Cœur de la Tunisie), créé l’an dernier. Toutefois, l’incarcération de M. Karoui l’empêche de prétendre au principe de l’égalité de traitement dans la couverture médiatique entre les candidats. Un principe qui "met en péril tout le processus électoral" et "mine la légitimité politique", prévient l’ICG. Et qui vaut tant pour la présidentielle que pour ces législatives .