"Bataille du Nil": le changement de tactique de l'Egypte face à son opposant éthiopien
Publié le 08-10-2019 à 13h52 - Mis à jour le 08-10-2019 à 13h53
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Le Caire espère qu’une "médiation internationale" lui permettra de maintenir le statu quo en sa faveur. L’Égypte a appelé samedi à une "médiation internationale" dans le conflit qui l’oppose à l’Éthiopie en raison de la construction par celle-ci d’un mégabarrage sur le Nil. Le Caire espère qu’un appui politique international lui permettra d’imposer son point de vue à Addis-Abeba - soit altérer le moins possible la position léonine qui est la sienne - tandis que les Éthiopiens mettent en avant leur besoin de se développer et essaient depuis plusieurs années de convaincre les Égyptiens des avantages de leur barrage pour les pays voisins.
Un partage léonin
Longtemps, Le Caire a joué sur l’inertie pour empêcher toute modification de la position léonine que lui avait accordée unilatéralement le colonisateur britannique. Celui-ci avait octroyé à l’Égypte la jouissance de la majeure partie des eaux du Nil (les deux tiers), ainsi que 20 % au Soudan, et un droit de veto sur tout projet de barrage en amont.
Moins de 15 % des eaux du "fleuve Dieu" seulement étaient, dans cette disposition, laissées aux autres pays riverains (Éthiopie, Soudan du Sud, Ouganda, Tanzanie, Burundi, Rwanda, RDCongo, Kenya) alors que 83 % des eaux du Nil proviennent du Nil bleu éthiopien.
De plus, Addis-Abeba n’a jamais reconnu les accords coloniaux de 1929 et 1959 sur lesquels Le Caire s’appuie. Les Éthiopiens soulignent que le Négus n’avait signé qu’un seul traité à ce sujet, en 1902, pour promettre que l’Éthiopie n’arrêterait pas les eaux du Nil. Et leur barrage de la Renaissance, assurent-ils, n’arrête pas l’eau mais se contente de l’utiliser pour faire tourner les turbines avant de la rejeter à son cours normal.

Besoin d’énergie pour se développer
Car l’Éthiopie a besoin d’énergie pour pouvoir se développer et créer des entreprises, tout comme d’autres pays riverains du Nil. Après des années de patience devant l’inertie du Caire face à toute proposition de modification du statu quo, la majorité de ces pays avaient signé, en 2011, un traité de partage des eaux du Nil, en vue d’en confier la gestion à une Commission conjointe pour "l’utilisation équitable et raisonnable" des eaux.
Dès 2013, Addis-Abeba a entamé la construction de son barrage de la Renaissance, destiné à produire 6 000 MW. D’abord attendu en 2017, puis en 2018, le barrage est maintenant annoncé pour 2020. Les autorités éthiopiennes ont promis de prendre "six à sept ans" pour remplir le lac attenant, afin "de ne pas créer de problèmes en aval", bien que l’eau doive s’évaporer bien moins vite dans le lac de barrage éthiopien que celle du lac de barrage d’Assouan, en Égypte, en raison de températures moins élévées.
Addis a passé plusieurs années à tenter de convaincre Khartoum et surtout Le Caire des bienfaits partagés de son projet. Des commissions techniques créées à l’initiative des Éthiopiens devaient rassurer les Égyptiens et les Soudanais sur leur crainte d’être privés d’eau mais leurs résultats n’ont jamais été rendus publics, la diplomatie des trois pays demeurant peu transparente sur le sujet. Au fil des années, cependant, les " impa sses" ont succédé aux "impa sses " .
Côté égyptien, l’immobilisme est de mise. Les autorités assistent sans réagir à l’accroissement de leur population ; promeuvent des cultures grandes consommatrices d’eau comme le riz ; n’ont annoncé qu’en 2018 la construction d’une station d’épuration des eaux usées pour pallier un manque d’eau déjà redouté aujourd’hui.
Menaces de guerre
Sous Hosni Moubarak, Le Caire avait menacé d’entrer en guerre en cas de modification du statu quo sur le Nil. Sous Mohamed Morsi, les islamistes envisageaient de saboter le barrage (sans penser aux dégâts que cela occasionnerait aux Soudanais, le barrage éthiopien étant proche de la frontière avec ce pays).
À son arrivée au pouvoir en 2014, le général al-Sissi avait assuré qu’il ne permettrait "jamais que le Nil, don de Dieu, soit source de conflit entre frères africains". Mais en novembre 2017, il déclarait dans un discours : "Personne ne peut toucher à l’eau de l’Égypte." Et en février 2018, une chanteuse égyptienne, Sherine Abdel Wahab, avait été condamnée à 6 mois de prison pour avoir… dénigré le Nil en plaisantant sur la qualité de son eau.