Un gouvernement de "compétences" pour le Maroc: "Une tendance globale qui concerne tous les pays où le modèle libéral est devenu incontestable"
Publié le 11-10-2019 à 15h26 - Mis à jour le 11-10-2019 à 15h27
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Le nouvel exécutif formé mercredi doit répondre aux exigences du Roi. Le Maroc l’attendait depuis la fête du Trône. Le remaniement ministériel exigé par le Roi a enfin abouti à la mise en place, mercredi, d’un nouveau gouvernement, rapidement qualifié de gouvernement "de compétences". Fin juillet, dans son discours de la fête du Trône, le Roi avait chargé le chef du gouvernement, l’islamiste Salaheddine El Othmani, de lui présenter des "profils de haut niveau, choisis selon les critères de compétences et de mérite".
Le Roi a donc reçu un gouvernement resserré de 23 ministres. Parmi eux, Nadia Fettah Alaoui. Directrice générale de Saham Finances et présidente du conseil d’administration de Saham Assurance Maroc, qui appartiennent au groupe de Moulay Hafid El Alamy, lui-même ministre de l’Industrie depuis 2013, elle devient ministre du Tourisme. Driss Ouaouicha prend le portefeuille de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Titulaire d’un doctorat en linguistique et éducation de l’université du Texas à Austin, il était, depuis 2008, le président de la très réputée université Al Akhawayne d’Ifrane.
"Se focaliser sur les compétences des dirigeants constitue une tendance globale qui ne concerne pas que le Maroc mais tous les pays où le modèle libéral est devenu incontestable", estime Mohamed Tozy, politologue spécialiste des mouvements politiques islamistes. "Là, la différence se joue seulement sur l’efficacité." Pour le politologue, le recours croissant à des figures "d’experts" est également lié à la transition qui s’opère au sein du parti islamiste PJD, porté à la tête du gouvernement en 2011 : "En tant que parti d’opposition, le PJD avait besoin de tribuns et d’idéologues, mais depuis qu’il est arrivé aux affaires, il doit trouver des profils plus techniques. Cela explique les difficultés que le parti a rencontrées à chaque fois qu’il a dû renouveler le gouvernement, même si elles étaient masquées par la lutte qui l’opposait aux autres partis."
Une figure récurrente
Tous les idéologues et figures morales du parti, notamment Mohamed Yatim qui était jusqu’à mercredi ministre de l’Emploi, ont ainsi peu à peu été écartées. Seul reste Mustapha Ramid, ministre d’État chargé des Droits de l’homme et des Relations avec le Parlement, dernier "garant du contenu idéologique du gouvernement", selon Mohamed Tozy.
Bien au-delà des affaires internes du PJD, la question de la compétence - et de l’incompétence - des responsables politiques et le recours à la figure du technocrate sont récurrents au Maroc. En réaction aux virulentes manifestations contestataires du Hirak d’Al Hoceima en 2016, le Roi avait déjà limogé en octobre 2017 quatre ministres, le directeur d’un établissement public et exclu cinq personnalités politiques de toute nouvelle responsabilité. Il les tenait en effet responsables de la mauvaise exécution du plan de développement d’Al Hoceima "Manarat Al Moutawassit", qu’il avait lui-même lancé deux ans plus tôt.
"Il y a une séparation assez nette entre le Palais, qui décide, d’une part, et les élus et le gouvernement, qui exécutent, d’autre part, expliquait alors Jean Noël Ferrié, directeur de Sciences Po Rabat. Or l’incitation à mettre en œuvre activement ‘les hautes orientations royales’ est d’autant plus faible que les ministres savent bien que si ces politiques réussissent, ce n’est pas eux mais l’action du Roi que l’on saluera. En revanche, si elles échouent, ils en seront tenus pour responsables, comme ce fut le cas à l’automne."
Un nouveau souffle à l’action publique
La formation du nouveau gouvernement répondrait dès lors surtout à une exigence de réforme et d’action émanant de l’opinion publique marocaine. Après vingt ans de règne, le Roi est ainsi en train d’impulser la formation d’un nouveau modèle de développement et tente de redonner un nouveau souffle à l’action publique. "Dans un tel contexte, le Roi est obligé de sortir [directement sur la scène publique pour intervenir] parce que le gouvernement se contente un peu trop bien du rôle d’exécutant qui lui est dévolu. Le Roi préférerait certainement un gouvernement plus actif et qui assume sa politique", estime-t-il.
En d’autres termes, le Roi préférerait un gouvernement qui joue son rôle de tampon entre la colère populaire et lui. "La monarchie s’est effectivement imposée en tant qu’acteur central au fil des années", expliquait Mounia Bennani Chraïb, politologue et directrice de l’Institut d’études politiques et internationales de la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne en avril 2018, "mais, du même coup, face à la protestation qui ne cesse de se diffuser le Roi est nu".