Deux novices prêts à s’installer dans le fauteuil présidentiel tunisien
Kais Saïed et Nabil Karoui s’affrontent dimanche. En jeu, un mandat de cinq ans.
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Publié le 13-10-2019 à 10h44 - Mis à jour le 13-10-2019 à 13h34
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Tunisie Kais Saïed et Nabil Karoui s’affrontent dimanche. En jeu, un mandat de cinq ans. Jusqu’au bout, l’élection présidentielle en Tunisie n’aura pas manqué de surprises. Après la libération de prison de Nabil Karoui, mercredi soir, quatre jours avant le second tour, un débat télévisé a rassemblé vendredi soir le candidat relaxé et son rival, Kais Saïed, tous deux sélectionnés il y a un mois par les électeurs. Le rendez-vous, annoncé juste après la sortie de prison de l’homme d’affaires, donnait suite aux trois débats organisés, pour la première fois dans le pays, entre des candidats au premier tour de la présidentielle.
Les observateurs les plus cyniques diront que ces rebondissements (l’arrestation, la campagne menée depuis sa prison et la libération de Nabil Karoui) en l’espace d’une cinquantaine de jours étaient bien nécessaires pour maintenir l’intérêt des électeurs pour ce scrutin. La participation électorale dans ce pays, berceau des révoltes arabes, est en effet plombée par l’essoufflement précoce de l’idéal démocratique, nourri par le manque de résultats obtenus par une élite dirigeante largement issue du moule politique d’avant la révolution de 2011. Un peu plus de 41 % des sept millions d’électeurs se sont déplacés dimanche dernier lors du scrutin législatif, encore moins que trois semaines plus tôt au premier tour de la présidentielle où ils étaient - presque - un sur deux. Les municipales de l’an dernier avaient déjà tiré le signal d’alarme, un électeur sur trois s’étant présenté aux urnes.
L’avenir dira si ces péripéties inédites auront réussi à vaincre la morosité ambiante et faire migrer les Tunisiens vers les bureaux de vote ce dimanche pour élire leur président pour les cinq prochaines années. Ce qui, par contre, est déjà une certitude, c’est que le prochain chef de l’État sera un novice en politique. Lors du premier tour, à la mi-septembre, leur choix s’était porté sur deux noms étrangers au sérail politique. Deux hommes qui n’ont que peu de choses en commun si ce n’est de cultiver une image anti-système.
Portraits opposés
L’un, arrivé premier (avec 18,4 % des suffrages), s’en tient d’ailleurs rigoureusement à l’écart en tant qu’intellectuel, universitaire et candidat indépendant, bien qu’il fut consulté pour l’élaboration de la Constitution de 2014 : c’est Kais Saïed. Sans parti ni relais au parlement, cet ascète de 61 ans au visage buriné et au ton monocorde, pétri de philosophie mais aussi de positions très conservatrices, devra s’il est élu dimanche composer avec les multiples forces qui devraient composer la majorité parlementaire afin de développer son programme. Soit une refonte complète du régime politique tiré de la Constitution de janvier 2014, avec un rôle démocratique accru pour les collectivités locales, afin de redonner le "pouvoir au peuple".
L’autre, second avec 15,6 % des votes, en est issu en tant qu’homme d’affaires, magnat de la communication dont le parcours sulfureux l’a mené en prison : Nabil Karoui. Même libéré, ce dernier reste inculpé pour fraude fiscale et blanchiment. Populiste pour les uns, bienfaiteur pour les autres (suite à ses opérations caritatives), ce libéral bon teint de 56 ans aux lunettes miniatures prône une "Constitution économique" censée faire de la Tunisie un pays "prêt pour les affaires" et faciliter les investissements étrangers. Il souhaite aussi un pacte social pour les pauvres.
Sa libération de prison n’a pas manqué de favoriser celle de sa parole, après plus de six semaines de musellement. "Cette présidentielle est un feuilleton de mauvais goût", a estimé Nabil Karoui peu après sa sortie de prison, regrettant qu’il n’y ait "rien de positif qui puisse pousser les gens à choisir", juste une opposition entre "d’un côté un mafieux et de l’autre un je-ne-sais-pas-quoi".
Ainsi, le portrait de chacun des candidats semble se définir en exact opposé de l’autre. Au Kais Saïed conservateur, intègre, indépendant (bien qu’appuyé par les islamistes d’Ennahda) s’oppose un Nabil Karoui libéral, populiste, corrompu et anti-islamiste.