Succession de Bouteflika en Algérie: les cinq candidats à la présidentielle sont perçus comme des clones issus du système
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Publié le 11-11-2019 à 20h47 - Mis à jour le 12-11-2019 à 17h21
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Le successeur d’Abdelaziz Bouteflika pourrait être connu dans un mois. La course à la succession d’Abdelaziz Bouteflika est bel et bien lancée. Et l’élection présidentielle du mois prochain est plus que jamais sur les rails. Le Conseil constitutionnel a validé samedi la liste des cinq candidats sélectionnés une semaine plus tôt par l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie) parmi une vingtaine de candidatures.
Ce scrutin présidentiel fixé au 12 décembre - après une tentative avortée le 4 juillet faute de candidat - est supposé résoudre la grave crise politique qui étreint depuis le début de l’année ce pays du Maghreb, le plus grand État d’Afrique. Les dizaines de milliers de manifestants du mouvement de contestation qui défilaient encore vendredi à Alger, pour la trente-huitième semaine d’affilée, en sont pour leurs frais. Ils brandissaient cette fois le slogan : "Faire échec à la présidentielle est un devoir national".
Le scénario privilégié par l’armée, dont le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah s’est révélé comme l’homme fort du pays suite à la démission début avril du président Bouteflika, prime toujours sur l’exigence principale du "hirak", à savoir l’organisation d’une période de transition politique permettant d’évoluer vers un système démocratique.
De ce point de vue, rien jusqu’ici n’est à même de rassurer les foules contestataires qui expriment leur mécontentement à travers le pays depuis le 22 février dernier, dans un esprit pacifique et avec une grande dignité. Ni les gages donnés par les "avancées" que constitue la démission d’Abdelaziz Bouteflika ou les arrestations de figures de premier plan des structures politiques, économiques et sécuritaires du pays (dont les anciens Premier ministre Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Selal) et les anciens chefs des renseignements militaires Mohammed Médiène (dit Toufik) ou Athman Tartag. Ni encore les noms des cinq candidats au scrutin présidentiel.
"Cinquième mandat"
Vu leurs états de service, tous ces candidats sont perçus comme des clones de celui auquel ils ambitionnent de succéder. Quatre d’entre eux ont été ministres : Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune (tous deux aussi Premier ministre), Azzedine Mihoubi (Culture) et Abdelkader Bengrina (Tourisme). Quant à Abdelaziz Belaïd, un ancien cadre du FLN, il a fondé un micro-parti proche du pouvoir. En somme, aucun n’est vraiment étranger au "système" conspué par le "hirak".
D’après les slogans brandis dans les rues, l’élection présidentielle est perçue comme un "cinquième mandat", en référence au mandat auquel se présentait le président Bouteflika après 20 ans au sommet du pouvoir. En se représentant alors qu’il se trouve très diminué des suites d’un AVC survenu il y a cinq ans, le président avait provoqué l’indignation des Algériens, laquelle s’était répandue dans les rues du pays dès le mois de février.
"Le moins pire des scénarios"
Cette élection présidentielle, "c’est peut-être le moins mauvais des scénarios", estime le politologue Sébastien Boussois, chercheur associé à l’ULB et à l’Uqam (Canada). "Il vaut sans doute mieux avoir un président, qui peut porter les réformes, avant de lancer une grande consultation nationale. C’est ce qu’entend faire quelqu’un comme Ali Benflis", poursuit le chercheur, auteur d’un ouvrage (Ali Benflis, un destin algérien, Riveneuve, 2018) sur cet ancien directeur de cabinet d’Abdelaziz Bouteflika et Premier ministre (2000-2003) durant le premier mandat de celui-ci. Avant de devenir l’un de ses principaux opposants, à la tête du parti Talaie el Hourriyet (Avant-garde de la liberté).
Après deux tentatives infructueuses (en 2004 et 2014), il se présente, à 75 ans, pour la troisième fois à la magistrature suprême avec pour projet une "rupture radicale avec l’ancien régime" et "l’avènement d’un nouveau système politique", a-t-il souligné dimanche lors d’une conférence de presse sur son programme. Si Benflis est sans doute le candidat le plus expérimenté, son adoubement supposé par l’armée - passée maître dans la sélection de personnalités qui peuvent constituer une façade civile à son emprise militaire sur le pays - lui vaut aussi un important rejet.
Une succession dans la continuité ?
"L’argument du hirak est de dire qu’Ali Benflis est le candidat de l’armée et qu’il incarnerait une succession dans la continuité" du système, résume Sébastien Boussois. "Bien sûr, l’armée sent qu’il est celui qui monte le plus en puissance en raison de son expérience politique, de sa vision, de son pouvoir fédérateur, de ses connaissances en géopolitique. Et parce qu’il peut incarner une forme de stabilité."
Toutefois, l’enjeu actuel réside dans la participation au scrutin. Un président mal élu n’aurait pas la légitimité populaire pour résister à l’emprise de l’institution militaire.
Des garanties pourraient être proposées aux représentants du système, telles le départ de Gaïd Salah et des vieilles élites de l’armée, ou encore un rôle renforcé pour le président, "tout en laissant le rôle de prestige à l’armée", esquisse le chercheur. "Je pense que les Algériens tiennent à leur armée en tant que garant sécuritaire, qui plus est dans un contexte national et régional fragile, et que force structurante et rassurante du politique. Les Algériens étaient fiers de pouvoir dire pendant des mois que l’armée était avec eux dans la rue . Mais changer le lien entre ce système sécuritaire et le système politique va demander du temps."