RDC: pourquoi la situation pourrait s'envenimer entre le Kasaï et le Katanga
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Publié le 06-04-2020 à 13h58 - Mis à jour le 07-04-2020 à 14h13
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Samedi 29 mars au petit matin, plusieurs "manifestations" emmenées par des membres du mouvement Kata Katanga du rebelle Gédéon Kyungu (qui prônent l’indépendance de l’ancienne province du Katanga) sèment un début de panique dans plusieurs villes du Haut-Katanga et du Lualaba (deux provinces nées du découpage du grand Katanga).
Les forces de l’ordre ne tardent pas à réagir. Militaires en armes contre manifestants la plupart du temps désarmés, la répression sera violente et le bain de sang est inévitable ; plus de 40 victimes sont annoncées. "Quarante-huit", selon un décompte "de sources humanitaires" cité par le caucus des députés nationaux de la province du Haut-Katanga, issus essentiellement du PPRD, le parti de l’ancien président Joseph Kabila.
Entre-temps, Gédéon Kyungu, le leader du mouvement, a pris la poudre d’escampette - une semaine plus tard il est toujours introuvable - alors que sa résidence à Lubumbashi avait été placée sous surveillance et que son arrestation était imminente.
Complicité ?
"John Numbi avait été investi par le président Tshisekedi pour mener à bien cette arrestation de Gédéon", explique une source kinoise, proche de l’UDPS, le parti dont est issu Félix Tshisekedi. "Or tout le monde sait que John Numbi et Gédéon Kyungu sont issus du même village du Katanga et qu’ils entretiennent de bonnes relations." L’information est confirmée à Lubumbashi, capitale du Haut-Katanga, par plusieurs sources qui pointent toutes un "cas de conscience évident" pour le général Numbi.
"Si l’ordre était venu de l’ancien président Joseph Kabila, John Numbi aurait peut-être agi différemment, mais pas pour un ordre venu de son successeur, un Kasaïen", explique un autre homme politique du Katanga. Plusieurs autres acteurs politiques pointent aussi les mêmes liens entre Gédéon Kyungu et le ministre de la Défense congolais Aimé Ngoy Mukena.
Des liens qui expliquent, pour beaucoup, pourquoi Gédéon était absent dimanche quand les forces de l’ordre se sont présentées au domicile mis à sa disposition, dans le quartier du Golf de Lubumbashi. "Il savait qu’ils allaient venir l’arrêter. Il n’allait pas les attendre sans rien faire. De toute façon ses amis ont tout préparé pour lui", poursuit une source qui insiste pour rappeler les "liens privilégiés entre John Numbi, Gédéon Kyungu et Joseph Kabila. Outre le fait qu’ils soient tous katangais, ils se rendent tous compte qu’ils ont perdu de leur pouvoir en étant obligé de partager le pouvoir avec Tshisekedi".
Des images largement diffusées
Les marches des adeptes de Gédéon Kyungu n’auraient été qu’une "mise en scène", à en croire un ancien ministre de l’avant dernier gouvernement de l’ère Kabila. Une mise en scène qui a fait une quarantaine de victimes, une vingtaine de blessés graves et une centaine de personnes arrêtées dans les rangs de gens envoyés "au front" pour permettre à leur leader de s’envoler sans laisser de trace. Les chiffres sont toujours issus de la même "source humanitaire" citée par le caucus des députés nationaux du Haut-Katanga qui insistent sur le fait qu’"aucune chance n’a été laissée aux blessés car les forces de l’ordre tiraient systématiquement sur tout blessé qui pouvait encore respirer, et ce, sous les applaudissements d’une frange de la population mieux identifiée sur les images qui inondent les réseaux sociaux".
Et c’est vrai que d’innombrables courtes vidéos ont été postées sur les réseaux sociaux qui montrent des corps ensanglantés et sans vie, des dépouilles traînées sur le sol comme de vulgaires détritus par des militaires ou des civils sous les applaudissements d’une foule festive.
Des images qui clôturent le premier acte de ce qui pourrait être un scénario macabre où des Katangais instrumentalisés sont tombés sous la violence d’une répression disproportionnée.
L’acte II, la colère katangaise
La mort de ces "manifestants", "l’usage excessif de la force" par l’armée congolaise, les images largement diffusées de ces violences suscitent depuis près de dix jours un débat qui s’intensifie dans tout le grand Katanga. L’appel du caucus des députés nationaux du Haut-Katanga en est le témoignage le plus officiel.
Ces élus ont annoncé qu’ils demandaient "l’application des termes des négociations ayant abouti à la reddition de Gédéon Kyungu et de ses partisans", qu’ils refusaient "la politique de deux poids deux mesures dans l’application de l’état de droit" et qu’ils exigeaient une "enquête" sur "le massacre du 28 mars" afin que les "responsabilités soient établies pour que les vrais commanditaires soient sanctionnés". Un discours qui se termine par ces mots : "Restons vigilants contre toute pratique de nature à diviser et exterminer les Katangais sous prétexte de lutter contre l’insécurité".
Les termes ne sont pas anodins : "Massacre de Katangais". "non respect de l’état de droit", "commanditaires à identifier" et "extermination des Katangais".
Le dossier Kamuina Nsapu (massacre perpétré dans le Kasaï contre un mouvement qui se rebellait contre le pouvoir central) revient régulièrement dans les conversations animées de ces derniers jours. Certains rappellent que le nom de Gédéon Kyungu avait été associé à certains actes violents perpétrés dans le Kasaï, terre dont est originaire la famille Tshisekedi.
D’autres, Katangais, soulignent la différence de traitement entre "les partisans de Kamuina Nsapu et les partisans de Gédéon Kyungu. Les uns, les Kasaïens, sont présentés par des ONG comme des victimes de l’oppression du pouvoir de Kinshasa. Les autres, les Katangais, sont simplement qualifiés de dangereux rebelles que l’on peut abattre même s’ils sont désarmés ou que l’on peut exhiber nus quand ils sont arrêtés, quel que soit leur sexe", explique un élu du grand Katanga pour expliquer la critique sur le "deux poids deux mesures sur le respect de l’état de droit".
Certains voudraient raviver les tensions communautaires entre le Kasaï et le Katanga qu’ils ne s’y prendraient pas différemment. Reste évidemment la question centrale : à qui profiterait cet embrasement ? Qui a intérêt à provoquer le chaos ?
Gédéon Kyungu, un condamné à mort qui se porte bien
Le chef de milice Gédéon Kyungu, plus connu sous son seul prénom, qui a fait trembler le Katanga en raison d’horribles exactions - notamment des actes de cannibalisme - contre les civils dans ce qui était devenu, de son fait, au début des années 2000, "le triangle de la mort" (Mitwaba, Manono, Kabalo).
Après s’être rendu aux casques bleus en 2006, il avait été condamné à mort par un tribunal militaire congolais en mars 2009. Mais, en septembre 2011, une spectaculaire attaque de sa prison de la Kasapa (dans la ville de Lubumbashi) avait permis de le libérer - avec 900 détenus - sans que les militaires de deux camps voisins ne réagissent.
Il avait repris ses violences dans le triangle de la mort avant d’annoncer, en août 2015, qu’il fondait un parti politique, le MIRA. Quatorze mois plus tard, le 11 octobre 2016, Gédéon "déposait les armes", accueilli par des chants et des danses, lors d’une grande cérémonie organisée par le gouverneur du Haut-Katanga, au cours de laquelle le chef rebelle portait un T-shirt à l’effigie de Joseph Kabila.
Quelques mois plus tard, la nuit du 21 au 22 mars 2017, plusieurs camions transportant une partie de ses miliciens, officiellement démobilisés, les ont amenés à l’aéroport de Lubumbashi où ils ont embarqué pour Kananga, au Kasaï - alors en proie à une sanglante rébellion au nom du chef assassiné Kamuina Nsapu.