Tunisie: une femme au tribunal pour avoir relayé une publication satirique sur Facebook
Emna Charki, 27 ans, avait publié un post imitant le style d’une sourate du Coran. La justice tunisienne a reporté l’examen de son dossier.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/907af01e-7b9c-4133-bc5e-d4804534654d.png)
Publié le 29-05-2020 à 08h45 - Mis à jour le 29-05-2020 à 08h46
:focal(1275x891:1285x881)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/SASP47P7UBAMZL2EABBPMESO5A.jpg)
Emna Charki, 27 ans, avait publié un post imitant le style d’une sourate du Coran. La justice tunisienne a reporté l’examen de son dossier.
S’agit-il d’un bon présage ? Le tribunal de première instance de Tunis a reporté jeudi, sine die, l’examen du dossier d’Emna Charki, une internaute accusée d’avoir porté atteinte au sacré. Le 4 mai, elle avait publié sur son compte Facebook un message intitulé "sourate corona". Cette publication provenant d’un compte étranger évoquait la pandémie due au coronavirus sur le ton de l’humour et dans le style d’une sourate du Coran. Ce détournement, qui recommandait suivre la voie de la science et de prendre distance avec la tradition, n’avait pas plu à certains. Deux jours plus tard, elle était convoquée par la police pour "atteinte au sacré et aux bonnes mœurs" et "incitation à la violence". Depuis lors, elle a reçu des menaces de mort et de viol.
Amnesty International a dénoncé cette situation, symptomatique selon l’ONG de l’exercice délicat de la liberté d’expression en Tunisie, et a demandé la veille de sa comparution l’abandon des poursuites contre la jeune femme. "La poursuite d’Emna Charki est une illustration de la manière […] dont les autorités continuent d’utiliser des lois répressives pour saper la liberté d’expression", a déclaré Amna Guellali, une responsable locale d’Amnesty.
L’affaire, dans laquelle cette femme de 27 ans risque trois ans de prison, est révélatrice des contradictions de la législation et des tensions qui parcourent la société en Tunisie. La Constitution tunisienne, adoptée en 2014 après la révolution de jasmin, consacre à la fois des libertés individuelles, comme la liberté d’expression et de conscience, mais elle assure aussi la protection du religieux et du sacré.
"L’article 6 de la Constitution garantit la liberté de croyance et de conscience mais, lors du débat à l’époque, les partisans de ces libertés ont dû en payer le prix en acceptant que soit aussi inscrite la protection du sacré. Le même article 6 interdit de porter atteinte au sacré. C’est sur cela que jouent les ennemis des libertés, et pas seulement les islamistes mais aussi les ultraconservateurs", nous précise l’écrivaine Faouzia Charfi, professeure d’université émérite et militante des libertés fondamentales. D’après elle, les islamistes du parti Ennahda restent très influents et maintiennent une pression sur la partie de la population avide de libertés, au profit de la partie qui reste très conservatrice. "Et toutes les occasions sont bonnes pour réaffirmer les valeurs de la société musulmane traditionnelle tunisienne", souligne l’auteure du livre Sacrées questions… Pour un islam d’aujourd’hui.
Le flou autour de la notion de sacré
Plusieurs affaires du même genre ont défrayé la chronique depuis la révolution de 2011. L’année suivante, la justice avait déjà condamné deux jeunes gens de Mahdia (dans l’est du pays) à sept ans et demi de prison, pour insulte à l’islam et aux musulmans. Ensuite, ce fut la diffusion d’un film (Persepolis) sur une télévision privée, et une exposition d’art contemporain. Autant d’événements où des résistances conservatrices apparaissent, toujours au nom du principe de protection du sacré. Le tout est entretenu par le flou entourant cette notion.
"Ce n’est pas comme si des lieux sacrés avaient été attaqués. Nous restons dans une ambiguïté par rapport à tout ce qui touche au religieux et au sacré", ajoute Mme Charfi. Ces contradictions doivent, selon elle, être résolues. L’absence de Conseil constitutionnel à même de trancher de tels cas est aussi patente. "La question du sacré devrait faire l’objet d’un débat au sein de certaines instances et surtout d’un débat intellectuel afin de définir dans quels cas concrets il y a atteinte au sacré ou non."