L'incertitude s'aggrave au Mali, aux mains des militaires
Les militaires mutinés qui ont renversé et emprisonné mardi soir le président Ibrahim Boubacar Keïta – ainsi que son Premier ministre Boubou Cissé – ont annoncé la création d’un Comité national pour le salut du peuple (CNSP), après que le gouvernement et le parlement eurent été dissous.
- Publié le 19-08-2020 à 16h38
- Mis à jour le 20-08-2020 à 12h18
“Nous avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire”, a déclaré celui qui a été présenté comme le porte-parole des mutins, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, rapporte l’AFP. Il a appelé la société civile et les mouvements politiques à “créer les meilleures conditions d’une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles”, sans donner de délai pour y parvenir.
L’histoire se répète
L’histoire semble se répéter puisque c’est une autre mutinerie, le 22 mars 2012, lancée à la même base militaire de Kati (à 15 km de Bamako), qui avait renversé le président Amadou Toumani Touré. La désorganisation militaire qui en était résultée avait transformé en désastre la déroute de l’armée malienne devant les progrès de la nouvelle rébellion des indépendantistes touaregs, lancée en janvier 2012. Ceux-ci avaient été rapidement débordés par leurs alliés djihadistes et ces derniers avaient imposé leur loi au Nord-Mali pendant une année.
L’opération militaire française Serval avait mis fin à l’occupation du Nord-Mali début 2013. Mais ni le maintien du contingent français, passé de 3000 à 5000 hommes aujourd’hui, sous le nom de Barkhane, ni l’appui des casques bleus de la Minusma (4500 hommes) depuis 2013, ni la création en 2017 d’une force conjointe de cinq armées sahéliennes – de facto non fonctionnelle – n’ont empêché que les djihadistes reviennent petit à petit et se répandent du nord au centre du pays, puis gagnent le Burkina Faso et le Niger voisins.
Visiblement, l’option du “tout militaire” ne fonctionne pas mais continue d’être appliquée, avec son cortège d’exactions contre des populations soupçonnées d’être complices des insurgés, exactions qui jettent de plus en plus de Maliens dans les bras des djihadistes. Alors que l’État assume de moins en moins son rôle, les habitants du nord et du centre du pays ne peuvent souvent se tourner que vers les islamistes pour être protégés.
Élections frauduleuses
Au sud du Mali, zone la plus peuplée du pays, les fraudes électorales à la présidentielle de 2018 – dont le président Keïta est sorti “réélu” – et aux législatives d’avril 2020 – où son parti s’est vu attribuer par la Cour constitutionnelle 10 sièges de plus que prévu afin d’atteindre une majorité avec son allié – ont suscité une profonde colère. En outre, les services de l’État à la population se dégradent, alors que la corruption des autorités, notoire, scandalise.
Depuis juin, le président Keïta devait donc affronter d’immenses manifestations réclamant son départ. Appuyé par ses collègues Présidents de la région, il refusait de partir – jusqu’à ce que des militaires l’y forcent, mardi. Ces derniers ont été applaudis dans les rues de Bamako, malgré le manque de perspectives qu’ouvre le coup d’État. Combien de temps les mutins resteront-ils prêts, en effet, à céder le pouvoir aux civils ? Faudra-t-il les forcer à partir, comme en 2013 ?
Et quel espoir peut susciter la coalition d’opposition civile anti-Keïta ? Celle-ci est, en effet, un rassemblement hétéroclite d’anciens politiciens désireux de se recycler et de néophytes. Tous s’abritent sous le manteau de l’imam ultra-conservateur Dicko, 66 ans, wahhabite – qui aurait de très bonnes relations avec certains djihadistes – devenu une des rares figures moralement crédibles pour le Malien moyen.
Le Mali n’est-il pas reparti comme en 2012 ?