Algérie: un référendum pour officialiser l’après-Bouteflika
Les Algériens sont appelés ce dimanche à se prononcer sur la révision de la Constitution.
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- Publié le 01-11-2020 à 16h09
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Vingt-cinq millions d’électeurs algériens sont conviés ce dimanche à se prononcer sur la révision de la Constitution, supposée répondre aux aspirations de la "révolution du sourire" lancée l’an dernier. Les autorités ont maintenu cette consultation malgré le rebond de l’épidémie de Covid-19 (57 500 cas et 1 950 morts) et l’hospitalisation à l’étranger du président Abdelmadjid Tebboune, élu fin 2019 et qui a fait de ce texte le marqueur d’une "Algérie nouvelle". Adoptée le 6 septembre par le Parlement, la nouvelle loi fondamentale est censée matérialiser l’après-Bouteflika, l’ex-président (1999-2019) chassé par un mouvement populaire (hirak) qui avait contesté le clan au pouvoir dès février 2019 et durant plus d’un an.
Pourtant, cette énième révision de la Constitution de 1996, malgré de réelles avancées en ce qui concerne les droits et libertés, est loin de faire l’unanimité auprès des militants et sympathisants du hirak, désireux de démanteler le système politique mis en place à l’indépendance du pays en 1962. La date du référendum a d’ailleurs une portée symbolique, le 1er novembre étant considéré comme le début de la guerre d’indépendance contre le colonisateur français (1954-1962). Un événement auquel se référait le slogan officiel de la campagne référendaire : "1954 : la libération, 2020 : le changement".
Le "hirak" institutionnalisé
Le hirak aurait plutôt des raisons de se réjouir puisque l’un des points saillants du nouveau texte est la mention du mouvement dans son préambule. Celui-ci parle d’un "peuple soucieux de traduire dans cette Constitution ses aspirations à des mutations politiques et sociales profondes pour l’édification d’une Algérie nouvelle telles qu’exprimées pacifiquement depuis le Hirak populaire originel du 22 février 2019". Cette référence au mouvement ainsi que celle relative à la préservation de l’environnement et aux conséquences du changement climatique, est pourtant rejetée par le mouvement qui pense que cette "institutionnalisation" est une manière indirecte d’en contrôler la destinée.
Si le texte ne réduit pas les prérogatives du régime présidentiel, au moins limite-t-il le nombre de mandats auquel peut prétendre le Président, sans que l’article en question ne puisse faire l’objet d’une révision constitutionnelle. C’est un indéniable pas en avant alors qu’Abdelaziz Bouteflika, le prédécesseur de M. Tebboune, avait pris l’habitude de faire modifier la loi fondamentale au gré de ses intérêts (comme en 2002, 2008 et 2016) afin notamment de pouvoir se représenter à l’élection présidentielle. Cette attitude avait déclenché le hirak peu après que celui-ci eut annoncé sa candidature à un cinquième mandat consécutif.
L’armée nationale, qui avait constitué le socle du pouvoir après l’indépendance, voit son rôle consolidé après les années Bouteflika, qui l’avaient vue rester dans l’ombre de ce civil ayant trouvé de meilleurs alliés dans le monde des affaires. Mais l’institution avait repris des couleurs à la faveur de la révolution, grâce au début de transition pris en charge par le chef d’état-major, feu Ahmed Gaïd Salah. L’article 30 stipule ainsi que "l’armée défend les intérêts vitaux et stratégiques du pays", une formulation qui semble lui donner toute latitude, entre autres et surtout dans le champ politique. Une mauvaise nouvelle pour le hirak qui souhaite l’établissement d’un régime politique pleinement civil, enfin débarrassé de l’emprise des militaires.
Le texte révisé inclut un important chapitre sur les droits fondamentaux et les libertés, salué par les ONG de défense des droits humains. Quarante articles consacrent la liberté de la presse, la création de partis, d’association et de syndicats, la protection des droits des femmes. Avec un rôle central accordé à la justice, seule en charge d’interdire une publication ou de dissoudre des partis ou associations. Mais l’actuelle répression à l’égard de journalistes et de militants des droits de l’homme, et les accusations d’une justice aux ordres du politique jettent déjà une ombre sur ces principes.
Un enjeu de légitimation
Bien que l’électeur algérien devra indiquer s’il est "d’accord sur le projet de révision de la Constitution qui (lui) est proposé", le référendum traduit aussi un enjeu de légitimation et de consolidation du pouvoir du président Tebboune, 74 ans. Élu en décembre 2019 avec 58,13 % des suffrages (exprimés par moins de quatre électeurs sur dix), M. Tebboune observera le taux de participation déterminant pour le changement qu’il entend incarner au travers de la Constitution. Ancien ministre et éphémère Premier ministre de Bouteflika, l’actuel président est contesté par le hirak depuis son élection, boycottée par le mouvement, tout comme ce référendum. Le principal parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix, a lancé un appel à participer mais pour voter contre la révision. Le Président est par contre soutenu par son gouvernement et les formations politiques de l’ancienne coalition au pouvoir, comme l’ex-parti unique Front de libération nationale (FLN).
Comble de malchance pour lui dans la dernière ligne droite avant l’événement, M. Tebboune s’est vu contraint de s’éloigner du pays à la demande de ses médecins. Hospitalisé mardi sans précisions officielles sur son état de santé, il s’est vu transférer mercredi soir pour l’Allemagne afin de se soumettre à un "examen médical approfondi". Le week-end dernier, il s’était placé en "isolement volontaire" après que plusieurs personnes de son entourage de travail eurent présenté des symptômes de la maladie Covid-19.