Rwanda : la justice française se rappelle de la veuve Habyarimana
Agathe Kanziga, 78 ans, la veuve de l’ex-président rwandais Juvénal Habyarimana - dont la mort dans un attentat, le 6 avril 1994, avait été le signal de déclenchement du génocide que son régime avait préparé - a été entendue mardi par un juge d’instruction du tribunal de Paris chargé d’instruire une information judiciaire à charge de Paul Barril pour “complicité de génocide”.
Publié le 04-11-2020 à 16h14
:focal(1275x858.5:1285x848.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FQK7VYYYP5FV3P63DMSGWHG4JM.jpg)
Cet ancien gendarme de l’Elysée sous François Mitterrand s’était reconverti dans la sécurité de chefs d’Etat africains. Une enquête a été ouverte contre lui en 2013 sur plainte d’ONG, pour un contrat de conseil et de formation militaire avec le gouvernement génocidaire, alors sous embargo international, contrat que Barril conteste.
Selon l’AFP, le juge d’instruction souhaite placer Mme Habyarimana sous le statut de “témoin assisté”, intermédiaire entre témoin et inculpé, comme Paul Barril l’a été.
Seconde procédure
C’est la seconde procédure judiciaire dans laquelle la veuve est impliquée. La première, ouverte en 2008, sur plainte d’ONG, à propos de son rôle dans le génocide, avait eu pour conséquence son placement sous contrôle judiciaire en 2010, avec interdiction de quitter le territoire, et son placement sous statut de témoin assisté en 2016. Agathe Kanziga continue de vivre en France, sans titre légal.
Elle y était arrivée en avril 1994, quelques jours après l’assassinat de son mari dans un attentat contre son avion - dont les débris s’étaient écrasés dans le jardin-même de la résidence Habyarimana, à Kigali. A l’époque, cela faisait plusieurs années qu’elle était considérée, au Rwanda, comme le centre de l’“akazu” (“petite maison” en kinyarwanda), un groupe informel qui protégeait les intérêts du clan présidentiel, notamment par l’utilisation d’escadrons de la mort, avait dénoncé le dissident Christophe Mfizi.
D’une piété ostentatoire - qui lui avait valu la sympathie de Baudouin et Fabiola de Belgique - et bien qu’Agathe Kanziga ait toujours veillé à se présenter en public comme effacée et ignorante de la politique, conformément à la tradition, peu de Rwandais ignoraient sa puissance. Celle-ci dérivait de celle de la famille dont elle est issue et qui descendrait d’un de ces anciens “roitelets hutus” qui, dans le nord du pays, ont longtemps résisté au royaume tutsi de Nyanza (sud) qui dominait le pays à l’arrivée des Européens. Ses frères et cousins tenaient plus de place dans le régime que la famille du chef de l’Etat, de petite extraction.
Selon une déclaration à la gendarmerie belge de deux filles du médecin présidentiel, lui aussi tué dans l’attentat, lors de la veillée funèbre à la résidence Habyarimana, le 6 avril 1994, Agathe Kanziga priait Dieu “d’aider les Interahamwes (NdlR: milices génocidaires) à nous débarrasser de l’ennemi”; tous ses voisins tutsis furent tués, cette nuit-là, par la garde présidentielle. Le génocide fit un million de morts en quatre mois, nommément identifiés, en majorité des Tutsis; les autres étaient des Hutus d’opposition ou ayant refusé de participer aux tueries.
L’Etat français avait exfiltré Agathe Kanziga le 9 avril et le président Mitterrand - qui avait aidé le régime Habyarimana avant le génocide et poursuivit son aide pendant et après ce dernier - lui attribua 230 000 FF sur l’aide d’urgence aux réfugiés rwandais. Cela n’empêcha pas le président français de déclarer, en juin 1994, au président de MSF, Jean-Hervé Bradol: “Elle a le diable au corps, elle veut faire des appels publics à la continuation des massacres”. La veuve s’était refusée à appeler les milices génocidaires - auprès desquelles son prestige était grand - à cesser de tuer.
“Soupçons sérieux”
La même année, elle avait quitté la France pour le Kenya, puis, en 1997, le Gabon. En 1998, elle était de retour en France, logée “aux frais de la République”, selon notre confrère Vincent Hugeux. En 2004, elle avait demandé le statut de réfugié, qui lui fut refusé trois ans plus tard; ce refus fut approuvé par le Conseil d’Etat le 16 octobre 2009 en raison des “soupçons sérieux” d’implication dans le génocide qui pesaient contre Agathe Kanziga. Elle resta néanmoins en France, toujours sans papiers. Son extradition vers le Rwanda fut refusée en 2011.