Burkina Faso : élections générales sous la menace des djihadistes
Le Burkina Faso doit élire ce dimanche un nouveau Président et un nouveau Parlement, cinq ans après les premières élections libres qui avaient suivi la chute, en 2014, du dictateur Blaise Compaoré, après 27 ans de pouvoir.
Publié le 19-11-2020 à 23h27 - Mis à jour le 22-11-2020 à 11h43
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Le chef de l’Etat sortant, Roch Kaboré, fait face à 12 autres candidats. Seuls deux de ses adversaires se détachent; Zéphirin Diabré, qui était arrivé deuxième en 2015, quand Roch Kaboré l’avait emporté dès le premier tour avec 53% des voix; Eddie Komboïgo, issu du parti de Blaise Compaoré - en exil en Côte-d’Ivoire - qui, en 2015, avait été interdit de compétition; il bénéficie de la nostalgie des Burkinabès pour la stabilité d’antan.
Attaques djihadistes de deux obédiences
Car la grande question en débat est celle de la sécurité, qui s’est considérablement dégradée depuis 2015, à cause d’attaques djihadistes, de la faiblesse croissante de l’Etat et de heurts communautaires. Le tout a fait 1600 tués et un million de déplacés en cinq ans, alors que deux millions de personnes sont en insécurité alimentaire, selon l’Onu, largement à cause des violences.
Les attaques djihadistes émanent de différents groupes armés, ayant fait allégeance soit à Al Qaïda, soit à l’Etat islamique. Elles visent des Occidentaux ou des intérêts occidentaux, mais surtout l’armée et des villageois. La terreur ainsi répandue place près d’un tiers du pays hors du contrôle de Ouagadougou, principalement au nord du pays. On sait déjà que le vote ne pourra pas avoir lieu dans un cinquième du territoire, tandis qu’ailleurs l’ouverture des bureaux de vote pourra dépendre des conditions locales de sécurité dimanche.
Une approche militaire
Les attaques islamistes ont pris par surprise le gouvernement de Roch Kaboré lorsqu’elles ont débuté, en 2015. Pour les affronter, le Président a privilégié l’approche militaire et refuse toute négociation avec les djihadistes. Son rival Komboïgo est, lui, en faveur de discussions, tandis que Diabré veut “une réforme profonde du système sécuritaire” pour “motiver” et mieux équiper l’armée et “un rassemblement national autour de la question du terrorisme”.
Mais les djihadistes ne sont pas le seul problème de sécurité des Burkinabès. L’autre est créé par les “Koglweogo” (gardiens de la brousse). Inspirés d’une structure traditionnelle des Mossis, principale ethnie du pays, ces groupes de villageois ont ressurgi depuis 2009, sous Blaise Compaoré, en raison de l’incapacité de l’Etat à assurer la sécurité des biens des paysans contre les voleurs de bétail et de motos, véhicule très populaire dans le pays.
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Au départ, formés en groupe avec l’accord du chef de village, ils attrapaient les voleurs et les remettaient à la police ou à la gendarmerie. Mais l’insécurité en brousse s’est aggravée avec la contestation grandissante du régime Compaoré, qui a retiré de plus en plus de militaires et policiers des campagnes pour les poster en ville, face aux manifestants. Après la chute de Compaoré, l’absence d’Etat dans de nombreuses régions s’est encore renforcée.
Milices armées
Cet élément, ajouté à un accès de plus en plus facile aux armes au Sahel, a favorisé l’expansion des Koglweogos. Et, ce faisant, leur transformation en milices armées poursuivant, arrêtant, torturant, condamnant - sur base de “lois” tirées du Coran, de la Bible ou de la sorcellerie traditionnelle, selon les régions - et tuant de présumés bandits.
Ils se sont d’abord étendus dans les régions de l’ouest du Burkina où les éleveurs mossis avaient émigré pour fuir la sécheresse, depuis les années 70; les Koglweogos y sont parfois vus comme une affirmation des Mossis sur des terres qui ne leur appartiennent pas et l’Etat central a interdit leur existence dans cette région en 2017, sans beaucoup d’effet. A l’est, les villages de l'ethnie des Gourmanchés ont donné un nom local aux Koglweogos et adopté ces groupes, tout comme au sud, chez les Gourounsis.
Au total. cependant, les Koglweogos - qui sont plusieurs milliers dans le pays et vivent des “amendes” qu’ils imposent - constituent un pan de l’insécurité au Burkina Faso. Ils se sont ainsi rendus coupables de massacres de Peuls en janvier 2019 en représailles après que des djihadistes eurent tué sept personnes à Yirgou; les djihadistes recrutent principalement des Peuls au Burkina, dans ce qui semble une stratégie délibérée pour attiser des heurts communautaires. En mars 2020, a rapporté Amnesty International, 43 personnes ont été tuées dans trois villages peuls lors d’une attaque armée par des Koglweogos dans la province de Yatenga (nord).
Bien que leur existence-même délégitimise l’Etat, qu’ils prétendent partiellement remplacer, le président Kaboré a renforcé les Koglweogos en créant, en janvier 2020, un corps de Volontaires pour la Défense de la Patrie, chargés d’appuyer les opérations de l’armée: de nombreux Koglweogos s’y sont engagés, alors qu’ils étaient déjà connus pour des violations des droits de l’Homme. Nombreux sont les Burkinabès qui craignent une aggravation des violences.