Crise sanitaire, misère sociale et faillite proche... "L’Algérie nouvelle" de Tebboune a du plomb dans l’aile
Sur fond de recomposition clanique, le pays retourne à la case départ, dans un contexte de crise sanitaire et de misère sociale.
Publié le 24-12-2020 à 14h35
:focal(2495x1671.5:2505x1661.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/N6C4F7JVVBEY3LFRNXUFVMFSF4.jpg)
Les Algériens retiennent leur souffle ! Le président Abdelmadjid Tebboune, hospitalisé en Allemagne pour cause de contamination au Covid-19, est absent des radars depuis le 28 octobre. Deux questions hantent les réseaux sociaux : quand reviendra-t-il ? et dans quel état physique ?
Sans crédibilité, les communiqués récurrents du gouvernement annonçant son "retour imminent dans les tout prochains jours" peinent à rassurer. Alors qu’une équipe de la télévision publique envoyée à Berlin est revenue bredouille, c’est à travers une vidéo publiée le 13 décembre sur son compte Twitter que le chef de l’État a annoncé son retour "dans deux ou trois semaines". Un canal de communication inhabituel qui a suscité davantage d’interrogations.
Remake de la longue hibernation politique imposée par la maladie de son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, cloué sur un fauteuil roulant pendant plusieurs années avant de rendre le tablier sous la pression de la rue, en avril 2019, le pays navigue à vue. Ce retour à la case départ intervient dans un contexte encore plus défavorable. En sourdine pour cause de Covid-19, le Hirak, la "révolution pacifique du 22 février" pour la démocratie, hésite à réinvestir la rue. À la crise sanitaire qui a jeté de nombreuses familles dans la misère, s’ajoute l’héritage calamiteux du général Ahmed Gaïd-Salah, décédé le 23 décembre 2019. Pour imposer son autorité, le vieux chef d’état-major avait jeté en prison des dizaines de manifestants et des leaders politiques sous l’accusation "d’atteinte à l’unité nationale et de trouble à l’ordre public". Dans la foulée, il avait réglé ses comptes avec ses adversaires du sérail. Sa bête noire, le général Toufik Médiène, ancien patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets) à la retraite depuis 2015, le général Bachir Tartag, son successeur, Saïd Bouteflika, le frère et conseiller du président déchu, et Louisa Hannoun, leader du Parti des travailleurs sont condamnés par le tribunal militaire de Blida à 15 années de réclusion pour "complot contre l’armée" !
Réconciliation dans le sérail
Depuis quelques jours, les lignes commencent à bouger. Moins arrogant et, en apparence, moins autoritaire, le général Saïd Chengriha, actuel chef d’état-major, tente de calmer le jeu. Après avoir décrété l’armistice entre les différents groupes d’influence, sa démarche réconciliatrice prend forme. Le général Toufik Médiène pourrait, dit-on, retrouver la liberté lors du procès en cassation prévu en janvier 2021 ; en attendant, il est soigné dans un hôpital militaire.
Le général Khaled Nezzar, condamné à 20 ans de prison par contumace et réfugié en Espagne depuis une année, est rentré à Alger le 11 décembre dernier ; l’ancien homme fort du régime dans les années 1990 ne cachait pas son mépris pour le général Gaïd-Salah, "cet incompétent au cerveau plein de pois chiches" !
Victime collatérale de cette purge, le général à la retraite Ali Ghédiri, candidat à la présidentielle avortée d’avril 2019, incarcéré depuis juin 2019 pour "atteinte au moral de l’armée" serait également libérable dans les prochaines semaines.
Au-delà du rééquilibrage des forces au sein de la grande muette, la démarche du général Chengriha répond à un impératif de sécurité nationale. Menacée par l’instabilité qui secoue les pays frontaliers (la Libye à l’est et les pays du Sahel au sud), l’Algérie est en alerte rouge depuis la reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en violation des résolutions de l’Onu, qui peine à organiser un référendum d’autodétermination.
Vers une "transition" frelatée
Pour "consolider le front intérieur", la répression contre l’opposition pourrait marquer le pas, avec notamment la libération des dizaines de prisonniers d’opinion. Selon un politologue familier des "décideurs", "ce dégel sera le prélude à un dialogue avec le Hirak, pour tracer la feuille de route d’une transition démocratique". Mais une transition frelatée, pilotée par les manipulateurs de l’ombre qui auraient parié sur la récupération de la contestation populaire par le biais de certaines de ses "figures de proue".
Quelle main pour le président Tebboune dans cette redistribution des cartes ? Mal élu le 12 décembre 2019 avec une abstention record de plus de 60 %, chahuté par la rue en attente d’"un État civil et non militaire", le président algérien doit composer avec des institutions en trompe-l’œil, et une armée toujours prête à sortir le carton rouge. Son discours de "rupture avec l’ancien régime" pour "construire l’Algérie nouvelle" est démenti par le recyclage d’un personnel politique discrédité et des pratiques d’un temps révolu. À supposer que son état de santé soit compatible avec ses fonctions, son rôle risque de se limiter à l’inauguration des chrysanthèmes.
En tournant la page des coups de boutoir du général Gaïd Salah, le régime espère retrouver ainsi un second souffle avec des méthodes plus subtiles. Une technique portant la marque du général Toufik Médiène qui a déjà démontré sa redoutable efficacité…
Économiquement au bord de la faillite
Perte d’emplois, fermetures de commerces, baisse du revenu des ménages… Le ralentissement de l’activité économique et commerciale "est ressenti amèrement par la population" , constate l’économiste Mansour Kedidir, professeur à l’École supérieure d’économie d’Oran.
La première économie du Maghreb, très peu diversifiée et dépendante de la rente pétrolière - plus de 90 % de ses recettes extérieures -, est surexposée aux fluctuations du prix du baril, dont les cours chutent depuis 2014.
Avec la crise sanitaire actuelle, l’Algérie devrait subir une récession de 5,2 % en 2020 ainsi qu’un déficit budgétaire parmi les plus élevés de la région, selon le Fonds monétaire international (FMI). Dans sa loi de finances pour 2021, le gouvernement chiffre le déficit à 2 700 milliards de dinars (17,6 milliards d’euros), contre 2 380 milliards de dinars en 2020, soit près de 14 % du produit intérieur brut (PIB).
"En dressant un tableau sombre des finances de l’État, le ministre des Finances Aymen Benabderrhamane n’a pu présenter des perspectives pour une sortie de crise, ce qui est alarmant", souligne M. Kedidir. Selon lui, "la situation ne nécessite pas uniquement un plan de relance, mais un plan de sauvetage de l’économie". "Toute initiative est vaine sans l’instauration d’un climat de confiance et la levée de tous les blocages qui caractérisent la politique gouvernementale" , plaide-t-il encore.
Plus de choix ?
L’Algérie a désormais épuisé toutes les possibilités offertes pour le financement du déficit, y compris la planche à billets. Le recours au financement extérieur sera "inéluctable dans 18 mois" , a averti l’économiste Mahfoud Kouabi dans un entretien au quotidien francophone El Watan . M. Tebboune a pourtant exclu catégoriquement en mai tout recours au FMI ou à la Banque mondiale, au nom de la "souveraineté nationale", rappelant la mauvaise expérience du pays qui s’était endetté auprès du Fonds en 1994. Mais il pourrait ne pas avoir le choix, à moins de solliciter des "prêts" auprès de pays "amis", comme la Chine.