Bâton pour les irréductibles, carotte pour les opportunistes : face à la contestation, le régime algérien joue la diversion
La contestation frémit après une année de silence dû au Covid-19. Contesté par la rue, le président Tebboune abat ses atouts. Il tente d’imposer sa feuille de route par la ruse et la répression.
Publié le 19-02-2021 à 20h26 - Mis à jour le 19-02-2021 à 20h27
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Après une longue absence pour des soins en Allemagne pour contamination au Covid-19, Abdelmadjid Tebboune a repris ses activités au pas de charge. Dans un discours à la nation prononcé jeudi, le président algérien a annoncé la libération de 30 détenus d’opinion condamnés pour leur participation au Hirak, le mouvement pacifique qui revendique un régime démocratique, ou pour avoir critiqué les autorités sur les réseaux sociaux. Parmi eux, le journaliste Khaled Drareni, correspondant de TV5 Monde et de Reporters sans frontières, condamné à deux années de prison.
Une soixantaine d’autres prisonniers politiques attendent d’être fixés sur leur sort. Comme Ali Ghediri, général à la retraite et candidat à la présidentielle avortée d’avril 2019. Ou Rachid Nekkaz, qui avait défrayé la chronique par la dénonciation des biens mal acquis par les notables du régime, notamment en France.
Redoutant le retour annoncé du Hirak, après une année de trêve pour cause de crise sanitaire, le pouvoir fait feu de tout bois. Abou Dahdah, qui aurait pris le maquis en 1994 avant d’être capturé le 16 décembre 2020, a été exhibé, mercredi, à la télévision nationale pour faire d’étranges aveux. Le "djihadiste" affirme être en contact avec des chefs islamistes réfugiés à Londres et très actifs sur les réseaux sociaux pour organiser des attentats contre les manifestants ! Le scénario, digne de la propagande des années de plomb de la dictature du parti unique, a été accueilli avec ironie et sarcasmes.
"Obéir aux autorités par respect du Coran"
Après le bâton contre les irréductibles, le pouvoir joue maintenant la carotte pour appâter les opportunistes, qui rêvent d’une carrière politique. En annonçant, jeudi, la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives anticipées, Abdelmadjid Tebboune vise à diviser l’opposition : attirer les partisans d’un "changement du régime de l’intérieur", et isoler ceux qui veulent "dégager le système" par une "période de transition vers la démocratie". Le remaniement du gouvernement prévu dans les prochains jours va sans doute intégrer quelques opposants-maison. Comme Abdelaziz Belaïd, ancien apparatchik du FLN (ex-parti unique) ou Abdelkader Bengrina, chef d’un petit parti islamiste "modéré". Après avoir donné la réplique à Tebboune lors de la présidentielle de décembre 2019, les deux prétendants multiplient les déclarations d’allégeance au chef de l’État.
Gage d’ouverture frelatée aux revendications populaires, le pouvoir concède de nouveaux espaces d’influence à l’islamisme. Une posture bénie par la nouvelle constitution adoptée le 1er novembre dernier qui, malgré un score homéopathique, consacre l’alliance entre les résidus d’un régime corrompu et les islamistes domestiqués toujours en embuscade. Un signe qui ne trompe pas : la liberté de conscience n’est plus garantie, et l’exercice des droits et des libertés individuelles est subordonné au "respect des valeurs islamiques". Et c’est sans complexe que le ministre des Affaires religieuses exhorte officiellement les citoyens à se soumettre aux injonctions du pouvoir, car "l’obéissance aux autorités est une exigence coranique ! Si vous avez une opinion différente, gardez-la pour vous…"
La torture et le viol comme arme
"L’Algérie nouvelle" chantée par le président Tebboune se révèle comme une caricature de l’ancienne ; elle rappelle étrangement les méthodes d’un passé que les Algériens croyaient révolu. Le cas de l’étudiant Walid Nekkiche, 25 ans, est sans doute le plus emblématique des dérives en cours. Arrêté lors d’une manifestation, torturé et violé dans un centre de détention des services de sécurité, son témoignage devant le tribunal lors de son procès a suscité une vague d’indignation, qui a contraint le garde des Sceaux à ordonner une enquête. Une première dans les annales de la justice algérienne, habituée à valider des aveux extorqués sous la torture, notamment dans les procès politiques.
Face à ces manœuvres, le Hirak résiste malgré une inévitable période de reflux. Le 16 février à Kherrata (320 km à l’est d’Alger) la voix de milliers de manifestants a retenti de nouveau pour rappeler les revendications démocratiques du mouvement populaire. C’est ici que la première salve contre le président Bouteflika, qui briguait un cinquième mandat en fauteuil roulant, a été tirée le 16 février 2019, avant d’embraser tout le pays. Clin d’œil à l’histoire, c’est dans cette ville martyre que les nationalistes algériens revendiquaient l’indépendance le 8 mai 1945. Une manifestation réprimée par l’armée coloniale dans un bain de sang et des milliers de morts.
Hier, Alger était en état de siège. Dès les premières heures de la matinée, un impressionnant dispositif policier avait pris position dans le centre de la capitale. Malgré quelques cortèges sporadiques dans les quartiers populaires et dans quelques villes de province, le grand retour du Hirak n’a pas eu lieu. Mais le pouvoir aurait tort de célébrer ses funérailles. Surtout que la crise économique n’a pas encore révélé ses tragiques conséquences sociales…