Les révélations et arrestations s’enchaînent dans le dossier Chebeya: vers un nouveau procès au Congo ?
Dix ans après les faits, le scénario du double assassinat se précise.
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Publié le 22-02-2021 à 13h25 - Mis à jour le 22-02-2021 à 13h26
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Le 2 juin 2010, le corps de Floribert Chebeya était retrouvé sans vie dans un véhicule stationné en bordure de la capitale congolaise. Dans le véhicule, quelques faux ongles de femme et un préservatif usagé. Un décor qui devait faire penser que l’homme était tombé dans un guet-apens sordide un peu plus tôt.
La victime, Floribert Chebeya, était le président de la branche congolaise de l’ONG La Voix des sans-voix (VSV). Un "incorruptible", comme le présentent ceux qui ont travaillé avec lui. "Pas le genre à être impliqué dans ce type d’affaire." Et, de fait, la mise en scène ne convaincra personne. Rapidement, le programme de la journée du 1er juin de Chebeya interroge. L’homme avait été invité à se présenter dans les bâtiments de l’Inspection générale de la police congolaise à Kinshasa pour un rendez-vous avec le général John Numbi, exécuteur des basses œuvres du président de l’époque, Joseph Kabila. Il y était arrivé au volant d’un véhicule conduit pas son chauffeur, Fidèle Bazana, introuvable depuis lors.
Le mois qui vient de commencer est sensible en RDC. Le 30 juin, Kinshasa s’apprête à célébrer les 50 ans de son indépendance. Le pouvoir de Joseph Kabila entend notamment utiliser cette date comme symbole de la normalisation de ses relations avec l’Occident et en particulier avec la Belgique. Le roi Albert II sera de la partie. Joseph Kabila ne veut aucun nuage au-dessus de cette fête.
Floribert Chebeya a bien conscience de l’importance de cette date et des événements annoncés. Il a enquêté longuement sur des massacres perpétrés dans la province du Bas-Congo. Les autorités policières et militaires sont largement soupçonnées. L’enquête de Floribert Chebeya prouve l’implication de responsables de l’État jusqu’au plus haut niveau dans ces massacres. Le patron de La Voix des sans-voix est venu en Belgique quelques semaines plus tôt. Il a travaillé sur le dépôt d’une plainte en Belgique sur ce dossier au nom de la loi de compétence universelle. Tout est prêt. L’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjakanyi n’a rien oublié du travail préparatoire mené avec Chebeya, rien oublié de la détermination de son client, de sa volonté de déposer cette plainte à la veille de la visite royale car il sait que cela va attirer l’attention de tous les médias. Il sait que si ce massacre demeure un dossier congolais, il n’y aura pas de suite.
Finalement, l’affaire n’ira jamais plus loin, les successeurs de Chebeya à la tête de l’ONG ne donneront pas suite à la plainte. "Je me souviens, le 2 juin, nous étions en voiture avec un ami qui connaissait aussi très bien Chebeya quand nous avons entendu la nouvelle de sa mort. C’était terrible", se souvient Me Ndjakanyi.
Les festivités du cinquantenaire se dérouleront avec faste. Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 après l’assassinat de son père, vainqueur d’un scrutin présidentiel douteux en 2006 face à Bemba, a bien assis son pouvoir ce jour-là.
Après les flonflons de la fête, la justice congolaise est obligée de se saisir de l’affaire. Un dossier est rapidement monté. Trois policiers sont condamnés à mort : Jacques Mugabo, Christian Ngoy et Paul Mwilambwe. La sentence est prononcée en juin 2011 et confirmée en appel en septembre 2015. Entre-temps, les trois hommes ont joué les filles de l’air. Aucun n’est derrière les barreaux. Le major Paul Mwilambwe a même fui la RDC et donné plusieurs interviews dans lesquelles il clame son innocence et explique tout le scénario. Il était présent sur les lieux, mais il n’a été qu’un témoin des meurtres. À partir de 2012, il donne les noms de tous les exécutants de ce qui apparaît de plus en plus comme un crime d’État. Depuis près d’un an, Mwilambwe est en Belgique, où il a introduit une demande d’asile et entamé une procédure de regroupement familial "mais sans réponse jusqu’ici".
"Depuis 2012, j’ai cité huit noms, explique Mwilambwe, joint par La Libre. "Deux sont derrière les barreaux, Ngoy et Mugabo, deux autres ont quitté le pays il y a quelques mois et ont commencé à parler (Hergil Ilunga et Alain Kayeye Longwa), il reste quatre policiers dans la nature. Tous ces noms, je les ai donnés. Ceux qui ont parlé ont confirmé tout ce que j’ai dit."
Un nouveau procès au Congo
Des dizaines d’ONG de défense des droits de l’homme appellent à la réouverture d’un procès en RDC. L’ombre de Joseph Kabila s’est évanouie, le nouveau pouvoir de Tshisekedi, ancien allié de circonstance de Kabila devenu son meilleur ennemi, peut-il rouvrir ce dossier ? "La justice congolaise à tout en main pour le faire", enchaîne Paul Mwilambwe, qui insiste sur sa coopération avec la justice. "Quand j’ai quitté le Congo, j’ai pu trouver refuge au Sénégal. La justice sénégalaise semblait intéressée par faire la lumière sur ce dossier mais, finalement, il n’a plus avancé. J’ai même été menacé par l’ancien pouvoir congolais, c’est pour cela que j’ai dû venir en Belgique. J’espère pouvoir faire venir ma femme et mes enfants. Ils sont toujours au Sénégal. Ils ont déjà été menacés et vivent dans la clandestinité, c’est dangereux et injuste. Si je suis innocent, que dire de ma femme et de mes enfants qui sont obligés de se cacher depuis plus de dix ans ? Un procès au Congo ? C’est nécessaire", continue Mwilambwe, qui exclut pour l’instant tout retour dans son pays d’origine. "Je n’ai rien de plus à apporter que ce que j’ai déjà dit et répété à de multiples reprises depuis 2012. La justice a mon témoignage, elle a tous les noms. Ma présence n’ajouterait rien. Moi, ce que je veux, c’est la sécurité pour les miens et pour moi-même."