Les Algériens dans la rue, douche froide pour le pouvoir
La contestation a réinvesti la rue après un an d’absence à cause du Covid-19. Un retour qui sonne comme un échec pour le président Tebboune. Le chef de l’État a alterné "main tendue" et répression depuis son élection.
Publié le 23-02-2021 à 06h34 - Mis à jour le 23-02-2021 à 14h38
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/P5G2WI6Y3RFSFLPWGQHXQQA5JQ.jpg)
Pour la troisième année consécutive, le 22 février, des dizaines de milliers d’Algériens ont marché dans les rues du pays la tête haute. En 2019, le soulèvement pacifique, inattendu, avait débouché au bout de quelques mois sur la chute fracassante du président Abdelaziz Bouteflika. En 2020, la manifestation avait sonné comme un avertissement à l’égard du nouveau pouvoir, avant que le mouvement de contestation soit placé sous l’éteignoir mondial de la pandémie de Covid-19. En 2021, le défilé a comme un goût de renaissance.
Ni la pluie qui faisait briller les balcons en fer d’Alger, ni l’important dispositif policier (barrages filtrants pour empêcher l’accès à la capitale, hélicoptères, canons à eau…), ni la peur des arrestations n’ont finalement empêché les révoltés de sortir ce lundi.
Un mouvement national
À Alger, mais aussi à Oran, Constantine, Annaba, Béjaïa, Sétif, Bouira ou Mostaganem… Cela faisait presque un an que ces images de foules joyeuses et déterminées avaient disparu des médias : depuis le 13 mars 2020 exactement, lorsque les manifestants ont décidé de suspendre les marches hebdomadaires du vendredi par respect des règles sanitaires.
À l’époque, les autorités algériennes y ont vu l’opportunité d’étouffer à petit feu le Hirak ("mouvement"). Les rassemblements ont évidemment été interdits, comme dans beaucoup de pays. La censure s’est faite plus mordante. Des dizaines de militants ont été incarcérés pour de simples publications sur les réseaux sociaux. Des journalistes aussi, dont le correspondant de TV5 Monde Khaled Drareni. Les juges ont condamné à tour de bras, généralement pour le motif d’"atteinte à la sécurité nationale". Enfin, sur le plan politique, le président Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre 2019 à l’issue d’un scrutin largement boycotté, a tenté de tourner la page de la contestation en proposant une réforme constitutionnelle (de faible envergure) qu’il présentait comme le début d’une nouvelle ère.

Gestes d’apaisement
Rien n’a marché comme prévu. Le référendum constitutionnel a enregistré le plus bas taux de participation de l’histoire de l’Algérie. Hospitalisé en Allemagne pour cause de Covid-19, Tebboune, 75 ans, était lui-même absent du pays le jour du vote. Sa maladie, qui a duré trois longs mois, a réveillé le spectre de la présidence finissante de Bouteflika, impotent, vécue comme une humiliation par beaucoup d’Algériens.
Après son élection, le chef de l’État, en quête de légitimité, avait promis de "tendre la main" au "Hirak béni". Sans succès. À l’approche de la marche anniversaire du soulèvement, il a une nouvelle fois tenté des gestes d’apaisement, vendredi, en annonçant la libération de "55 à 60 personnes" sur les 70 prisonniers d’opinion recensés par le Comité national de libération des détenus. En fin de semaine, 35 d’entre eux sont effectivement sortis de prison, dont Khaled Drareni.
Le président Tebboune a aussi prononcé dimanche la dissolution de l’Assemblée populaire nationale, dont les députés dataient de l’ère Bouteflika, ouvrant comme prévu la voie à des législatives anticipées dans les six mois. Aucune date n’a encore été fixée pour le scrutin, mais la classe politique mise sur le mois de juin.
L’impossible réforme de l’intérieur
Le président Tebboune a enfin remanié le gouvernement.
Là encore, ses initiatives ont été balayées par les contestataires. La grâce présidentielle, arbitraire, ne remplace pas une justice indépendante, ont-ils immédiatement dénoncé. Quant au remaniement, il apparaît dérisoire : les principaux ministres sont restés en poste. À commencer par le Premier ministre, Abdelaziz Djerad. Le gouvernement a même enregistré l’arrivée, en tant que ministre du Tourisme, de Mohamed Ali Boughazi, ex-plume de Bouteflika. Symbole d’une continuité du "système" que les Algériens rejettent depuis deux ans.
Le régime, soigneusement encadré par l’armée, s’est finalement montré incapable de se réformer de l’intérieur.
Le scénario, un temps envisagé, d’une transition en douceur recyclant des cadres de l’administration, s’est effondré. Quant au Hirak, invisible pendant près d’un an, il a continué de couver sous la cendre. Pourtant, une seule journée de manifestation, aussi jubilatoire soit-elle, ne signifie pas encore un sursaut national. Loin de là. En 2019, c’est la répétition inlassable et courageuse des marches pacifiques qui avait provoqué le renversement du clan Bouteflika. Les slogans de ce lundi sont clairs : "Nous ne sommes pas venus pour l’anniversaire, nous sommes venus pour que vous partiez", criait la foule à Alger. Autrement dit : la révolution n’a pas eu lieu, elle est toujours en cours.