Dans l’est de la RDC, Tshiskedi court toujours après la paix
L’état de siège, décrété il y a un mois par le chef de l’Etat dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, doit être renouvelé ce dimanche. Son bilan est pour l’instant dérisoire.
Publié le 06-06-2021 à 14h24 - Mis à jour le 06-06-2021 à 14h28
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Plusieurs volcans font trembler l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Le Nyiragongo, l’un des plus actifs et dangereux d’Afrique,est entré en éruption le 26 mai. Il a provoqué l'évacuation en toute hâte de 400 000 habitants de la ville voisine de Goma. L’autre volcan régional, bien plus meurtrier (il fait des centaines de victimes chaque année), n’a rien de naturel : c’est la crise sécuritaire. Celui-là gronde depuis plus d’un quart de siècle. Les violences incessantes des myriades de groupes armés, et leur cortège de viols, de pillages, de menaces, ont plongé les provinces orientales du Congo dans un état d’alerte humanitaire permanent.
Lors de sa campagne électorale, en 2018, le futur président, Félix Tshisekedi, avait promis de s’attaquer à cette montagne, répétant comme un mantra le mot «paix» dans chacun de ses meetings. Sans grand succès jusqu’à présent. Au contraire, le nombre de victimes des groupes armés a augmenté depuis son élection, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, passant de 914 civils tués en 2018 pour cette seule région, à 1 569 l’an dernier.
Plusieurs opérations militaires d’ampleur ont bien été ordonnées par le chef de l’Etat. La plus médiatisée a été celle dite de «grande envergure» menée en 2019 dans le territoire de Beni, exposé au harcèlement des islamistes des Forces démocratiques alliées (ADF, le groupe le plus meurtrier de la région). Elle a mobilisé plus de 20 000 soldats. Son bilan, pourtant, est loin d’être convaincant. Alors que Tshisekedi avait juré «d’exterminer les ADF», «la plupart des combattants ont pu s’échapper pour opérer dans d’autres zones», détaille une note du Baromètre sécuritaire du Kivu publiée le mois dernier : «Certaines localités situées à la périphérie du territoire de Beni, qui avaient été relativement épargnées par les ADF jusque-là, ont été massivement touchées par les tueries de civils après le lancement de l’opération. […] Elle semble avoir été contre-productive. De 24 civils tués par mois en moyenne, entre juin 2017 et octobre 2019, nous sommes passés à 65 en moyenne après le début de l’opération.»
Autorités militaires
Le président Tshisekedi est donc passé à l’étape supérieure en décrétant, le 6 mai dernier, l’«état de siège» sur les provinces du Nord-Kivu et l’Ituri. Une mesure inédite, qui a pour conséquence, entre autres, la désignation d’autorités militaires en remplacement des civils, à tous les niveaux de l’administration. Deux lieutenants généraux ont été choisis pour diriger les opérations : Johnny Nkashama Luboya en Ituri et Constant Kongba Ndima au Nord-Kivu. Originaires de la région, ces anciens officiers rebelles intégrés à l’armée congolaise – le premier fut le chef des renseignements militaires du RCD, proche du Rwanda, au début des années 2000, et le second a été général du MLC, parrainé par l’Ouganda – sont dotés des pleins pouvoirs pour traquer les membres des groupes armés.
Félix Tshisekedi mise sur le rapprochement diplomatique opéré en direction de ses voisins orientaux, notamment le Rwanda et l’Ouganda, soutiens historiques de certains mouvements rebelles, pour désamorcer la poudrière du Kivu et de l’Ituri. «Les discussions ont avancé, en toute opacité, sur un accord de coopération militaire avec Kigali et Kampala, explique un observateur installé à Kinshasa. Celui-ci serait à double tranchant. Une intervention des Rwandais ou des Ougandais pourrait attiser certaines rebellions, ou même servir à des règlements de compte sur le sol congolais via des groupes relais.»
Etroite marge de manœuvre
L’état de siège avait été proclamé pour une durée d’un mois. Il ne fait aucun doute qu’il sera renouvelé avant dimanche, jour de son expiration. L’Assemblée nationale a voté cette semaine le projet de loi autorisant sa prorogation par 335 voix contre une. Pourtant, aucune grande manœuvre militaire n’a encore été déclenchée. Les nouvelles autorités, issues de l’armée et de la police, n’ont été nommées que le 25 mai, en remplacement des maires et des bourgmestres civils. La plupart n’ont toujours pas pris leurs fonctions. «L’état de siège a davantage une portée politique. Il a été annoncé sans grande préparation, et n’a eu à peu près aucun effet concret pour le moment, décrit Loochi Muzalia, coordinateur de l’association Justice pour tous. Mais on sent déjà une inquiétude de la population, notamment sur la question des taxes. Les militaires ne vont-ils pas nous racketter pour payer l’effort de guerre ? se demandent les gens.»
Localement, l’armée congolaise, formée d’anciens rebelles réintégrés, est considérée comme faisant «autant partie du problème de l’insécurité que de la solution», estime le chercheur. «L’institution militaire n’existe pas en tant que telle, il y a plutôt une cohabitation de réseaux sécuritaires parallèles, ancrés dans les régions, décrit-il. Indisciplinée, affairiste, corrompue, impliquée dans l’exploitation des ressources naturelles, l’armée est une entité hautement politique en RDC.» Félix Tshisekedi est d’ailleurs loin de la contrôler entièrement. Dans ce domaine, le Président avance pour l’instant ses pions avec prudence. Sa marge de manœuvre est étroite : beaucoup d’officiers sont d’anciens fidèles de son prédécesseur, Joseph Kabila, resté très influent.
A sa différence, Félix Tshisekedi n’a pas été formé au métier des armes. La reconquête de l’est du pays, si attendue, lui apporterait le prestige militaire qui lui fait défaut. Mercredi, le ministre de la Défense, Gilbert Kabanda, a affirmé que l’état de siège était «en phase d’accélération» : «Les opérations sur le terrain vont démarrer avec la logistique, avec toutes les capacités financières, a-t-il promis. Il y a des hommes que nous allons devoir bouger pour aller dans les zones de l’état de siège et d’ici deux semaines, je peux vous rassurer que la situation ne sera plus la même.» Quarante-huit heures plus tôt, des nouvelles attaques contre des villages et des camps de déplacés avaient fait 57 morts civils. Les victimes, hommes, femmes et sept enfants, ont été massacrées, la plupart à la machette, après avoir été ligotées. Le gouvernement n’a pas eu un mot sur la tuerie.