"Irresponsable", "dangereuse": une loi visant à limiter les droits de certains Congolais fait polémique
Le texte divise la classe politique, mobilise le clergé catholique et trouve écho à l’Onu.
Publié le 11-07-2021 à 19h39 - Mis à jour le 12-07-2021 à 21h38
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Des semaines qu’une ébauche de texte suscite le débat en République démocratique du Congo (RDC). Des semaines que son initiateur, Noël Tshiani, candidat à la présidentielle de 2018, se multiplie dans les médias nationaux et sur les réseaux sociaux pour expliquer le bien-fondé de sa proposition de loi.
Jeudi 7 juillet, le texte, qui n’avait pas encore été déposé à l’Assemblée nationale congolaise, a été évoqué devant le Conseil de sécurité des Nations unies par Bintou Keita, la représentante du secrétaire général de l’Onu en RDC. La diplomate guinéenne, spécialiste de la résolution des conflits, a évoqué ce texte dans la perspective de la future élection présidentielle dans ce pays en 2023 : "Je souligne la nécessité d’organiser des élections inclusives et apaisées en prenant garde aux conséquences potentiellement dangereuses d’un débat clivant sur la nationalité."
Vingt-quatre heures plus tard, le texte, endossé par le député Nsingi Pulupu Pitshou (Noël Tshiani n’étant pas élu), issu de l’ancienne majorité politique de Joseph Kabila, dont une large frange a rejoint le clan du président Tshisekedi, était déposé à l’Assemble nationale. Le député de Kinshasa affirmant que ce texte était déjà soutenu par au moins 215 élus (sur 500).
Limiter certains postes aux 100 % Congolais
Pour son initiateur, qui affirme être uniquement mû par le sens patriotique, ce texte vise à limiter l’accès à la présidence de la République à des candidats de père et de mère congolais.
Une proposition qui fait notamment réagir un élu de Walikale (Est, Nord-Kivu), le député Juvenal Munubo, élu de l’Union des nationalistes congolais (UNC) de Vital Kamerhe, ancien directeur de cabinet et partenaire de coalition de Félix Tshisekedi. Pour lui, pas question de soutenir ce texte. "Le plus urgent n’est-il pas de réorganiser le service de l’état civil ?" explique-t-il notamment dans une interview accordée au site congolais Politico.cd. Il est vrai que cette proposition de loi se fracasse sur la réalité d’un pays qui ne dispose pas d’un registre d’état civil digne de ce nom, qui est cerné par neuf États frontaliers et dont les ethnies ne se sont jamais arrêtées aux frontières tracées au XIXe siècle par les Européens.
Ensemble pour la République, le parti de Moïse Katumbi, une des personnalités les plus populaires de la RDC, candidat empêché à la présidentielle de 2018, ancien gouverneur du Grand-Katanga et président d’un des plus grands clubs de football du continent africain, le Tout-Puissant Mazembe, a mis en garde l’actuelle majorité politique du président Tshisekedi, qu’il a rejoint au sein de l’Union sacrée, sur les conséquences de l’adoption de cette proposition. "Au regard de l’histoire du Congo, cette proposition de loi, rétrograde et inenvisageable partout ailleurs dans le monde démocratique au XXe siècle, est totalement irresponsable. Elle met à mal l’unité et la cohésion nationales en créant différentes catégories de citoyens au sein d’une même nation." Il poursuit en dénonçant "la volonté manifeste des instigateurs de cette proposition de loi d’exalter des sentiments de racisme et de haine dans le seul but de verrouiller l’accès aux plus hautes fonctions de la République" et en rappelant - ce qu’ont fait plusieurs opposants à ce texte - que la Constitution congolaise (notamment dans ses articles 12 et 13) dit que "aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques, ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale".
Ensemble pour la République annonce donc s’opposer catégoriquement à cette proposition de loi et qu’il quittera la majorité présidentielle si le texte devait être inscrit au calendrier des travaux parlementaires
(Re)mobilisation du clergé
Dans la foulée, ce samedi, c’est l’archevêque métropolitain de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, qui a appelé "le peuple congolais à la vigilance par rapport à toutes ces initiatives dangereuses qui n’ont que comme unique mérite de créer la tension". L’archevêque a aussi "stigmatisé le dangereux projet de loi sur la congolité qui ne promeut point la cohésion nationale", avant d’ajouter, sous les applaudissements nourris des fidèles venus l’écouter devant la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul de Lubumbashi (Haut-Katanga), que "ce projet de loi apparaît comme un instrument d’exclusion et de division".
Le FCC, le Front commun pour le Congo, la plateforme de l’ancien président de la République Joseph Kabila, s’est également fendu d’un texte pour dire tout le mal qu’il pense de cette proposition qu’il refusera de soutenir et annoncer qu’il est déterminé à "mobiliser tous ses élus, ainsi que les millions de ses adhérents répartis sur l’ensemble du territoire national, pour faire échec à cette proposition".
Des silences embarrassants
Officiellement, ce texte est une initiative de Noël Tshiani. Mais pour beaucoup le vrai initiateur de ce projet "est à chercher ailleurs" et de pointer un doigt accusateur en direction du sommet du pouvoir. L’annonce par Félix Tshisekedi de son intention de briguer un second mandat il y a quelques semaines ne fait qu’accentuer ce sentiment. Le silence de Félix Tshisekedi face à la proposition de Noël Tshiani peut interroger. Le président de la République ne peut ignorer que ce texte porte atteinte à la Constitution, il ne peut ignorer que cette proposition porte en elle des risques de déstabilisation et d’embrasement. Lui le garant des institutions se mure dans un silence assourdissant qui ne fait qu’accroître les doutes sur les vrais moteurs du projet. Après l’élimination politique de Vital Kamerhe (condamné à 13 ans de prison), alors qu’un dossier douteux a permis la levée de l’immunité parlementaire de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, candidat potentiel à la présidentielle de 2023, ce texte qui pourrait viser Moïse Katumbi viderait l’est swahilophone de la RDC de ses favoris, de quoi raviver les tensions ethniques dans ce pays.
Le silence de l’Union européenne peut aussi surprendre. Les valeurs essentielles que l’Europe défend avec raison, notamment face aux projets de lois liberticides du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, ne seraient donc d’application que sur le Vieux Continent ? L’Union européenne, important bailleur de fonds en RDC, dispose d’arguments pour éviter la dérive d’un régime. L’argent des partenaires doit venir en aide au peuple et profiter au développement du pays et non soutenir aveuglément un régime en pleine dérive.