En légalisant l’usage du cannabis thérapeutique, l’État marocain a réussi à faire adopter une loi contre l’avis de la majorité islamiste au pouvoir
L’État marocain a réussi à faire adopter une loi légalisant l’usage du cannabis thérapeutique contre l’avis de la majorité islamiste au pouvoir.
Publié le 05-08-2021 à 18h01 - Mis à jour le 06-08-2021 à 14h23
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Le Palais royal et le ministère de l’Intérieur envisageaient déjà la légalisation du cannabis thérapeutique depuis plusieurs années quand la Commission des stupéfiants des Nations unies a décidé, en décembre 2020, de retirer le cannabis du tableau IV de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 pour encourager son utilisation à des fins médicales. Le 11 mars dernier, le gouvernement - islamiste - adopte alors un projet de loi pour légaliser le cannabis thérapeutique et industriel.
Au-delà d’une conjoncture internationale favorable, c’est un coup de maître du pouvoir central : il a réussi à faire passer sous la mandature du PJD (Parti de la justice et du développement, islamiste), une loi dont celui-ci était le seul, de toute la scène politique, à ne pas vouloir.
Manœuvre politique
"Il y a eu de la part du pouvoir central une lecture très fine du champ politique pour choisir le moment idéal pour faire passer cette loi : alors que le PJD (qui détient la majorité relative au Parlement, NdlR) est trop affaibli pour rassembler sa coalition gouvernementale contre celle-ci, mais qu'il est encore au pouvoir pour qu'il ne puisse pas se retourner contre elle s'il passe ensuite dans l'opposition", analyse Khalid Mouna, ethnologue, spécialiste du Rif, le berceau du kif, le haschich marocain.
"Il faut choisir le moment opportun pour discuter et donner du temps au temps. Je suis pour le report de la question au prochain mandat du parlement", expliquait ainsi Abdelaziz Aftati, membre du secrétariat général du PJD, en mars. "Pour être franc, programmer le vote quelques mois avant l'élection peut être interprété de différentes manières. On peut se poser des questions sur les arrière-pensées de cette programmation", ajoutait-il, bien conscient de la manœuvre politique dont son parti s'apprêtait à faire les frais. Elle n'a cependant été possible que parce que le ministère de l'Intérieur, qui a rédigé la loi, "est un ministère souverain. Le chef du gouvernement est un chef d'orchestre qui donne un cadre juridique aux projets de loi, mais il n'a pas le pouvoir de s'opposer à lui", explique Khalid Mouna.
Partis écartés de la loi
Alors que les partis politiques ont été sollicités pendant plusieurs années pour défendre l'idée d'une légalisation de l'usage thérapeutique auprès des Marocains et des cultivateurs, ils ont été totalement écartés de la nouvelle loi. "Le pouvoir central a fait voter cette loi avant les prochaines élections législatives qui auront lieu à l'automne pour qu'aucun parti ne puisse en tirer profit électoralement parlant", analyse Khalid Mouna.
Le Pam (Parti authenticité et modernité, centre-gauche) dont le secrétaire général a longtemps été Ilyas El Omari, originaire du Rif, est connu pour être l'un des grands défenseurs de la légalisation. Pour autant, ce parti a voté le projet du gouvernement sans broncher. "C'est mieux que le projet de loi vienne du gouvernement, assure même Ibtissame Azzaoui, membre du Pam, cela permet de réduire la sensibilité du sujet. À l'approche des élections, il y a un risque que les partis réagissent mal : certains auraient cherché à retarder le projet de loi ou au contraire à en tirer des bénéfices électoraux."
En somme, le Pam a renoncé d’autant plus facilement à en tirer un bénéfice électoral que le vote de cette loi sous la mandature du PJD nuisait encore davantage à son premier adversaire politique.