Entre financements de groupes armés et procès irrégulier, les dessous de la condamnation de Paul Rusesabagina, l’ex-hôtelier rwandais
La Belgique estime que Paul Rusesabagina n’a pas bénéficié d’un procès équitable.
Publié le 20-09-2021 à 18h56 - Mis à jour le 21-09-2021 à 11h06
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Paul Rusesabagina, 67 ans, a été reconnu lundi coupable de terrorisme par la Haute Cour de Kigali pour les crimes internationaux et transfrontaliers, qui l'a condamné à 25 ans de prison. " Le tribunal conclut que le rôle de Rusesabagina dans la création du FLN, la fourniture de fonds aux rebelles et l'achat de moyens de communication pour les rebelles constituent tous le crime de commission de terrorisme ".
La Belgique estime que l'accusé "n'a pas bénéficié d'un procès juste et équitable", "particulièrement en ce qui concerne les droits de la défense" .
L’ancien directeur de l’hôtel Mille Collines, dont Hollywood avait fait un héros du génocide, était poursuivi avec 20 autres membres d’un mouvement politico-militaire qu’il dirigeait et qui a attaqué des civils au Rwanda en 2018 et 2019, faisant neuf morts et d’importantes destructions matérielles.
Paul Rusesabagina avait accédé à la notoriété internationale grâce au film hollywoodien Hôtel Rwanda, qui lui taille sur mesure un rôle de héros protégeant les Tutsis des tueurs.
Des fonds pour des groupes armés
Cette notoriété lui a permis de récolter d'importants fonds pour son mouvement d'opposition MRCD, une coalition créée " en décembre 2016", unissant des mouvements politiques et deux groupes armés. L'un, le CNRD, est une dissidence des FDLR, un mouvement armé issu des génocidaires rwandais de 1994 et qui a mis l'est du Congo à feu et à sang. L'autre, créé en 2018, est le FLN, dont le chef, Callixte Nsabimana, dit "Sankara", était vice-président du MRCD ; il sera arrêté en 2019.
Interrogé à Bruxelles par La Libre Belgique sur le pacifisme qu'il revendiquait alors qu'il était allié avec des groupes armés, Rusesabagina avait répondu : "Les réfugiés ont le droit de se défendre pour ne pas être comme un mouton (voir La Libre Afrique.be du 18 juin 2019)."
Selon les échanges de mails produits par l’accusation, Paul Rusesabagina connaissait parfaitement l’usage des financements qu’il envoyait au FLN, basé à l’est du Congo. Il en recevait des rapports sur leurs activités armées, sur leurs pertes et celles de l’adversaire et leur envoyait des fonds. Rusesabagina a aussi envoyé des fonds à des combattants FDLR. Des témoins de l’accusation ont indiqué que le Rwando-Belge avait cherché un bras armé à son mouvement afin d’être en position de force pour négocier avec Kigali.
Procès irrégulier
Depuis le 24 mars, Paul Rusesabagina ne se présente plus aux audiences, pour protester contre le fait que le tribunal a rejeté sa demande de report de six mois du procès.
Ses avocats ont aussi estimé le procès irrégulier parce que l'accusé a été arrêté, à la mi-2020, par les autorités rwandaises, à la suite d'un "rapt ". Paul Rusesabagina a été trahi par un pasteur burundo-belge qu'il avait contacté pour qu'il lui obtienne, du régime militaire du Burundi voisin, une base arrière pour ses combattants ; la situation de ceux-ci au Congo devenait en effet difficile. Le pasteur en avait informé Kigali et avait accompagné Paul Rusesabagina à bord d'un vol privé "vers Bujumbura " ; loué par l'État rwandais, l'appareil avait atterri à Kigali, où le Rwando-Belge avait été arrêté. Les procureurs ont soutenu lors du procès qu'il n'y avait pas rapt puisqu'il n'y avait eu ni violence ni coercition.