En 2022, 250 militaires belges s'en iront dans le bourbier malien: "Cette mission va potentiellement aller vers un échec"
Mali Les militaires y seront déployés en 2022. Le risque d’échec est grand, dit un expert.
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Publié le 28-11-2021 à 12h40
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À peine parties d’Afghanistan, les forces militaires belges risquent de s’enliser dans un nouveau conflit sans fin, celui qu’elles mènent avec leurs partenaires européens et internationaux au Sahel, en particulier au Mali.
Dans son plan des opérations pour l'année 2022, la Défense belge a prévu de renforcer sa présence au Mali. Pour le moment, elle y envoie environ 110 militaires, au sein de la mission des Nations unies (Minusma) ou celle de l'Union européenne (EUTM Mali). La Belgique a également intégré au printemps 2021 la Task Force Takuba, un groupement européen de forces spéciales initié par la France, en y dépêchant des officiers d'état-major. C'est la présence dans Takuba qui va considérablement monter en puissance.
Un déploiement graduel
La Belgique compte déployer de manière graduelle une force (un sous-groupement tactique interarmes - CATSG) de 165 à 255 militaires au cours du second semestre 2022.
Selon le cabinet de la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), cet engagement se fera en fonction de la situation politique et sécuritaire sur place, mais il est à peu près acquis qu’il aura bien lieu. Des messages ont été envoyés en ce sens, lundi, lors de la venue à Bruxelles du Premier ministre français, Jean Castex.
Pour le député d'opposition Theo Francken (N-VA), cette mission sent le soufre et rappelle celle menée en Afghanistan. "Le Mali est l'Afghanistan de l'Afrique. Un nid de guêpes de seigneurs de guerre, de guerres tribales et d'extrémisme musulman, a-t-il écrit sur Facebook, mardi. Déjà plus de sept années que les Français essaient de stabiliser le pays. Il y avait deux groupes terroristes actifs à l'époque, aujourd'hui plus de dix."
La situation s’est dégradée
La situation au Mali s’est en effet dégradée ces derniers temps. La France avait lancé en 2013 une offensive (opération Serval) pour contrer la conquête de territoires par des djihadistes, qui contrôlaient déjà les deux tiers du nord du pays.
L'intervention militaire était ensuite devenue régionale (opération Barkhane), renforcée par des troupes onusiennes et européennes. Mais rien n'y fait. Les groupes terroristes sont revenus sur le terrain qu'ils avaient dû fuir. Le Mali a, en outre, connu deux coups d'État en moins d'un an.
L'espoir d'une stabilisation à plus ou moins court terme est donc utopique. "Le président Macron le sait et veut réduire la présence française, poursuit Theo Francken. [Le président français] souhaite que l'opération européenne Takuba prenne le relais. Et que va faire [le gouvernement belge] dominé par les francophones ?, interroge le nationaliste flamand. Plier face à Macron, bien sûr, et envoyer 250 soldats dans ce guêpier. N'apprenons-nous rien de la débâcle en Afghanistan ? Je ne suis pas contre une présence militaire au Sahel, mais je suis à 100 % contre cette opération dans l'enfer du Mali."
Il manque une stratégie de sortie
"On ne peut pas comparer l'Afghanistan au Mali. Chaque théâtre d'opérations est différent, analyse Tanguy Struye, professeur en relations internationales à l'UCLouvain. Mais si on part du principe que l'Afghanistan a été une défaite de l'Occident, qu'on n'est pas parvenu à rendre ce pays démocratique, il est clair qu'il y a des parallèles avec le Mali et le Sahel. Depuis que les pays européens y sont, la situation sécuritaire s'est fortement détériorée. On ne va certainement pas arriver à une solution dans laquelle on va créer de la stabilité, comme on l'espérait quand on a commencé à s'engager là-bas, c'est évident."
Lorsque l'on mène une intervention de ce type, il faut avoir une stratégie de sortie, insiste le professeur. "On doit fixer les objectifs de la mission et, si on les atteint, on fout le camp. Le problème de l'intervention en Afghanistan, c'est que la mission a continuellement changé. À l'origine, il s'agissait de combattre Al-Qaïda et les talibans, puis on est passé à du nation-building, alors que l'un et l'autre n'ont rien à voir. Le nation-building, cela veut dire qu'on est là pour 20 ou 30 ans, avec des logiques d'aide au développement, des logiques diplomatiques, économiques, militaires… Or, les politiciens n'ont jamais mis le paquet sur le terrain. L'Afghanistan est un exemple. La Libye et l'Irak aussi. On a des précédents. On sait très bien ce qu'on doit faire ou ne pas faire. Le Mali, c'est le même danger. On va potentiellement aller vers un échec parce qu'on ne sait pas très bien ce qu'on y fait vraiment."
"L’intervention militaire ne doit être qu’un petit élément d’une stratégie globale, conclut Tanguy Struye. L’intervention peut diminuer la menace islamiste en neutralisant des cellules, mais cela ne veut pas dire qu’on amène de la stabilité. Il faut tenir compte des réalités socio-politiques de la région. Mais on a toujours ce même problème : on n’a pas de stratégie à long terme. Et le danger, c’est que l’on va encore se retrouver avec une défaite sur le plan militaire."