"Les Nations unies doivent revenir à l’avant-plan du processus électoral libyen"
La confrontation politique Est-Ouest explique le report de la présidentielle, note Hasni Abidi.
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Publié le 26-12-2021 à 15h48 - Mis à jour le 26-12-2021 à 15h49
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Le report de l’élection présidentielle de ce vendredi en Libye a remis en lumière le fossé béant entre les deux grandes régions du pays, malgré la réconciliation nationale lancée en grande pompe en début d’année. C’est avant tout une confrontation politique qui explique ce report, estime le politologue Hasni Abidi, spécialiste du monde arabe à l’Université de Genève.
Parmi les raisons politiques, juridiques ou sécuritaires qui expliquent le report de l’élection présidentielle, y en a-t-il une qui prédomine ?
Il y a eu un consensus général sur l’impossibilité d’organiser le scrutin présidentiel du 24 décembre et sur le report de l’élection. C’est un élément important que tous les protagonistes affirment que ce n’était pas tenable en l’état. Il est, en revanche, faux de dire que c’est uniquement une raison légale, liée à cette loi électorale contestée, qui est responsable de ce report. Les élections sont une question éminemment politique.
Vous voyez un consensus alors que les divisions politiques éclatent au grand jour…
Oui mais il s’agit d’un consensus tacite. Aucune partie n’a vraiment engagé sa responsabilité. La commission électorale n’a pas demandé le report, elle l’a proposé à une nouvelle date, le 24 janvier.
Voyez-vous une responsabilité des Nations unies dans cet échec ?
Oui, le Forum de dialogue politique de l’an dernier a accouché d’une assemblée de 75 membres qui n’a pas été jusqu’au bout dans l’organisation des élections. Elle s’est contentée de proposer une date, de donner des orientations, sans participer à la rédaction même de la loi électorale, qui stipule les modalités de participation, de recours, d’organisation de la campagne… Or les Nations unies savent pertinemment que les Libyens ne sont pas en mesure de s’entendre sur cela. Le Premier ministre Abdel Hamid Dbeiba, qui nourrit des ambitions présidentielles, a posé sa candidature mais a exercé ses fonctions jusqu’au bout, alors que la loi électorale demande qu’on se retire des affaires politiques trois mois avant le scrutin. C’est donc dans son intérêt que les élections soient reportées. Quant au maréchal Haftar et sa couverture politique, le président du Parlement Aguila Salah, lui-même candidat, ils sont bousculés par la candidature d’un outsider, en la personne du fils Kadhafi. Finalement, tout le monde avait intérêt à ce que cette élection n’ait pas lieu dans les conditions actuelles.
Que faudrait-il pour que la présidentielle puisse être tenue ?
La commission électorale a proposé une date mais un peu par défaut. Elle ne peut pas ne pas donner de perspectives aux Libyens, qui sont déçus et frustrés puisque cette élection doit leur permettre de tourner la page de ce long cauchemar. Les Libyens sont fatigués de voir les mêmes figures dominer la scène politique depuis la chute de Kadhafi. À mon avis, les Nations unies qui sont à l’origine de l’organisation de ces élections doivent absolument revenir à l’avant-plan et s’engager de manière plus intensive dans le processus électoral. Leur mission consiste à aider les Libyens à se doter de nouvelles institutions et organiser ces élections. Elles ont une expertise reconnue en matière de loi électorale - qui doit être clarifiée. Il faut rétablir le rôle du Forum politique qui s’est réuni à Tunis et à Genève pour superviser ces élections. Les grandes puissances insistent pour que ces élections aient lieu et leur rôle est d’accompagner les Nations unies en poussant les protagonistes à s’entendre sur une loi électorale. Jusqu’ici, la commission électorale est l’otage d’une confrontation politique et pas du tout juridique.
Y a-t-il une maturité politique suffisante pour y parvenir ?
Le nombre très élevé de candidats à la présidentielle (une centaine, NdlR) de même que l'engouement avec lequel les Libyens se sont inscrits pour voter montrent une certaine maturité politique, une disponibilité à se doter de nouvelles institutions investies d'une nouvelle légitimité. Le problème réside plutôt dans les divergences de fond entre les hommes politiques qui tiennent Tripoli et Benghazi (pour simplifier) et aussi entre certains chefs de milice de l'Est et de l'Ouest. Une partie d'entre eux peut très bien survivre avec le statu quo actuel et ils entendent le maintenir parce qu'ils ne veulent pas disparaître. Car une élection libre, c'est aussi la disparition d'une partie des figures actuelles et de leurs intérêts.
Le gouvernement intérimaire formé en début d’année devait réconcilier les deux grandes régions du pays. A-t-il échoué ?
Absolument. Ce gouvernement a dépensé beaucoup d’argent et aujourd’hui on a la certitude que son chef était en campagne électorale et donc pas du tout au service de ce gouvernement d’union nationale. La fracture est béante et a rendu le processus électoral difficile, voire impossible à tenir.