Comment le Maroc veut rallier le monde à son projet de souveraineté
Après la reconnaissance américaine, Rabat mise sur l’Europe pour faire avancer son initiative d’autonomie.
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- Publié le 07-05-2022 à 07h31
- Mis à jour le 07-05-2022 à 07h33
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Le dossier du Sahara occidental empoisonne toujours les relations entre le Maroc et l’Algérie. Les deux frères ennemis du Maghreb s’opposent depuis près de cinquante ans sur l’avenir de ce territoire désertique au sud-ouest du Maroc, une ancienne colonie espagnole que l’Onu considère comme un "territoire non autonome" en attente d’un statut final. Après une tentative avortée au bout de quelques réunions de reprendre les négociations au début de 2019, Rabat et Alger ont repris le cours de leur guerre froide autour d’une alternative tout aussi figée. Le Maroc, qui occupe militairement et administre (sans reconnaissance onusienne) plus de trois quarts du territoire, propose depuis 2007 une large autonomie sous sa souveraineté pour ce qu’il appelle ses "provinces du Sud". De son côté, le représentant du peuple sahraoui (le Front Polisario), soutenu par l’Algérie et qui a fondé une République arabe sahraouie démocratique (RASD), demande toujours un référendum d’autodétermination, prévu en 1991 lors de la conclusion d’un accord de cessez-le-feu sous l’égide de l’Onu mais qui n’a jamais pu être organisé en pratique.
Depuis l’été dernier, les deux voisins maghrébins ne se parlent plus, Alger ayant rompu ses relations diplomatiques avec Rabat. En grande partie suite à la normalisation, en décembre 2020, entre le Royaume chérifien et Israël, monnaie d’échange de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Depuis lors, Alger n’en finit pas de ravaler sa colère. Le Maroc, lui, s’est senti pousser des ailes et s’est lancé dans une vaste campagne diplomatique visant à rallier des pays européens à la cause de son plan d’autonomie.
Une spectaculaire rupture
Fin mars, renforcé par la visite de son homologue américain Antony Blinken qui a renouvelé son appui à l'initiative marocaine sans renier la position prise par l'administration Trump, le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita a invité l'Europe à "sortir de la zone de confort dans laquelle des gens soutiennent seulement un processus sans soutenir une solution" et à suivre la voie tracée par les États-Unis.
Le Maroc semble donc décidé à faire bouger les lignes européennes dans le sens d’une adhésion à sa proposition de "large autonomie" pour régler le contentieux sahraoui. D’autant plus que les canaux de discussions sont coupés avec Alger et que l’attention du monde est focalisée sur l’Ukraine.
Dernière prise de choix pour le Maroc : l'Espagne qui, dans une spectaculaire rupture avec la position européenne, s'est exprimée en faveur de l'initiative d'autonomie marocaine. Lors de sa visite au Maroc le 7 avril, le Premier ministre Pedro Sanchez a réaffirmé la position de son pays formulée trois semaines plus tôt, selon laquelle le plan d'autonomie marocain constitue "la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend". Sa déclaration a mis un terme définitif à la brouille diplomatique entre Rabat et Madrid qui avait débuté en avril 2021 lorsque l'Espagne avait accueilli le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, afin qu'il puisse bénéficier des soins hospitaliers après avoir contracté le Covid-19. La réaction du Maroc ne s'était pas fait attendre : plus de dix mille migrants avaient investi la ville autonome espagnole de Ceuta, sur le côté nord du Maroc, suite à un relâchement de sa surveillance à la frontière…
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, pour qui "l'Onu considère que l'Espagne est la puissance administrante tant qu'il n'y a pas de solution au Sahara occidental", a estimé le 23 avril que ce revirement espagnol était "inacceptable moralement et historiquement". L'Algérie réclame "l'application du droit international", et appelle l'Espagne à ne "pas renoncer à sa responsabilité historique" et à "réviser sa position".
Une solution de paix et de sérénité
À la mi-mars, l’Allemagne et le Maroc avaient également annoncé "entamer un nouveau dialogue afin de surmonter les malentendus dans leurs relations", lequel remontait à mars 2021. Berlin avait entre autres critiqué la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ce qui avait conduit au rappel de l’ambassadrice du Maroc en Allemagne - qui vient seulement d’y revenir. Les tensions avaient commencé à se dissiper en décembre dernier à la faveur de déclarations jugées "positives" par Rabat de la part du nouveau gouvernement social-démocrate d’Olaf Scholz.
Le 5 janvier, le président allemand Frank-Walter Steinmeier déclarait au roi Mohammed VI que le plan marocain d'autonomie pour le Sahara constitue un "effort sérieux et crédible" et "une bonne base pour parvenir à une solution" à ce dossier. Un gage suffisant pour Rabat, même si M. Steinmeier avait précisé que l'Allemagne avait "soutenu depuis de nombreuses années le processus des Nations unies en faveur d'une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable pour toutes les parties".
Dans la foulée, la France a quant à elle qualifié le plan d’autonomie de "base sérieuse et crédible" tout en se prononçant pour une "solution juste et durable et acceptable par toutes les parties".
En Belgique, un groupe de soutien se référant au statut d'autonomie vient d'être mis sur pied "à l'initiative de personnalités belges d'horizons divers", sur base du constat que la question du Sahara occidental ne peut rester sans réponse. "Cette région mérite une solution de paix et de sérénité dans l'intérêt des populations locales, de leur autonomie et dans le respect du principe de l'émancipation des peuples", estime le député socialiste Hugues Bayet, à l'occasion du lancement du Comité belge de soutien de l'autonomie pour la région du Sahara (Cobesa), qu'il préside. À le suivre, cette plateforme de discussion n'entend pas favoriser l'un ou l'autre camp. "L'initiative du Maroc est une base de discussion", souligne M. Bayet, "une proposition à amender, à enrichir, à adapter", renchérit l'ambassadeur du Maroc, Mohammed Ameur. "Il n'est donc pas question de constituer un front anti-Algérie ou pro-Maroc", "il faut dépasser cette confrontation stérile", ajoute le député, qui prévoit de "prendre des contacts avec les représentants algériens et du Polisario afin de les inviter à discuter avec nous".
Des relais politiques
En l’absence de réelle évolution ces quinze dernières années (depuis la proposition marocaine), les deux principales parties se sont portées sur le terrain diplomatique.
"Le conflit, plutôt gelé militairement en dépit de la montée des tensions ces derniers mois, s'est déplacé dans les arènes internationales, sous la forme de techniques de lobbying et d'influence. Cela se voit au Parlement européen, dans les recours déposés auprès de la CJUE autour des accords commerciaux avec le Maroc et de l'inclusion du Sahara occidental dans ces accords, mais aussi du Congrès américain. Chaque acteur recherche des relais politiques", observe un spécialiste français de la politique internationale africaine, sous le sceau de l'anonymat. "Cette stratégie a, peut-être, d'abord été le fait du Maroc, dans le cadre du renouveau de sa politique extérieure, notamment vers l'Afrique subsaharienne, depuis les années 2000. Une stratégie qui s'est d'ailleurs concrétisée par sa réintégration de l'Union africaine, institution dans laquelle l'Algérie avait une influence ancienne et forte", poursuit-il.
L’attitude volontariste - sinon jusqu’au-boutiste - de Rabat sur le dossier du Sahara occidental, désormais érigé en priorité diplomatique, s’est en effet cristallisée suite à sa réintégration (en janvier 2017) dans l’institution panafricaine, où le Royaume chérifien a glané de nombreux appuis à sa proposition d’autonomie. Au détriment de la RASD, qui a perdu plus de la moitié de ses appuis en trente ans.
Le Maroc rêve certainement de pouvoir célébrer sa souveraineté effective sur le Sahara pour le 50e anniversaire de la "libération" de celui-ci par le colonisateur espagnol. Quitte à mettre la pression en jouant la carte de la régulation migratoire ou à opérer par séduction en vantant ses atours en matière de ressources, qu’il s’agisse de ses eaux poissonneuses ou de ses énergies renouvelables. La guerre en Ukraine lui laisse à cet égard un boulevard.