Père Pedro, l’abbé Pierre de Madagascar
Rencontre près d’Antananarivo avec le prêtre lazariste et quadrilingue, plusieurs fois proposé pour le prix Nobel de la paix, qui est passé récemment en France et en Belgique pour collecter des dons.
- Publié le 11-06-2022 à 19h44
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Dans un ancien stade de basket, surchauffé par 5 000 fidèles galvanisés, le père Pedro interrompt son homélie de deux heures trente pour interpeller avec humour le journaliste de Libé. "Frère Laurent, que vas-tu écrire sur nous ? La Croix, j'aurais compris, mais Libération !" Rires, même si les fidèles venus assister à la messe comme tous les dimanches matin, sur la colline de Manantenasoa à dix kilomètres de la capitale Antananarivo, parlent le malgache, très peu le français.
Le prêtre de 73 ans, lui, disserte en quatre langues, dont l'espagnol et… le slovène. C'est d'ailleurs le Premier ministre de la Slovénie qui l'a proposé l'an dernier au prix Nobel de la paix, soutenu par des parlementaires français. Explication : Pedro Pablo Opeka, né le 29 juin 1948 dans la banlieue de Buenos Aires, a des parents slovènes, réfugiés après la Seconde Guerre mondiale en Argentine. Son père, "à la foi de charbonnier", avait pris les armes contre les soldats communistes. Lorsque Tito l'emporta et fonda la Yougoslavie, le catholique s'enfuit en Autriche, occupée par les Anglais. Ces derniers, qui suspectaient les réfugiés de collaboration avec les fascistes italiens, le renvoient dans son pays. Arrêté, le Slovène est conduit, raconte aujourd'hui son fils, "au fond d'un cratère d'obus pour y être fusillé". "Unique rescapé d'un charnier de 5 000 personnes", (un miracle ?) il se réfugie cette fois en Italie. Là, dans un camp de la Croix-Rouge, il rencontre Maria, sa future femme. Le couple s'exile en Argentine et y fonde une famille de huit enfants. Le jeune Pedro aide son père, maçon, et joue au foot. L'élève est inscrit dans une école religieuse, passe son bac et travaille, l'été, auprès des Indiens mapuche, dans la cordillère des Andes.
Un coup de fil du président
A 17 ans, il entame le séminaire chez les pères lazaristes, dont l'ordre fondé à Paris au XVIIe siècle par Vincent de Paul soutient les plus démunis et prêche la bonne parole dans les colonies. Puis Pedro Pablo Opeka étudie la philo et la théologie au collège Máximo de San Miguel (banlieue de Buenos Aires) où il suit les cours d'un certain Jorge Mario Bergoglio, le futur pape François. "Je l'ai revu 40 ans plus tard, le lendemain même de son élection au Vatican, en mars 2013. Il était très pâle et ne réalisait pas encore", raconte le prêtre, qui vient de recevoir un coup de fil du président de Madagascar. Andry Rajoelina l'informe lui-même du don… d'un camion poubelle. Ainsi va Mada ! En 2019, le pape lui accorde une nouvelle fois sa bénédiction lors d'une tournée dans l'océan Indien, en visitant son association Akamasoa. Autre figure du catholicisme à l'avoir soutenu : l'abbé Pierre, avec lequel il a écrit deux ouvrages.
En 1968, il quitte l’Argentine pour l’université de Ljubljana, en Slovénie, où il a encore de la famille. Deux ans plus tard, suivant les pas des premiers lazaristes, il découvre Madagascar. Il participe aux travaux de maçonnerie des villageois dans la paroisse de Vangaindrano, au sud-est de l’île. Il y apprend le malgache et le français, avant d’étudier, de 1972 à 1975, à l’Institut catholique de Paris. Cheveux longs, il rencontre le père Roger, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, voyage en Israël, URSS, Etats-Unis… De ses années hippie, il garde une ouverture d’esprit qui l’engage à s’opposer au célibat imposé aux prêtres.
À 27 ans, il est ordonné prêtre, en Argentine. Sa première affectation ? Madagascar, de nouveau à Vangaindrano. "Il cherche de l'or, le Blanc ?" s'interrogent les habitants de cette province reculée, en observant le religieux, de l'eau jusqu'à la taille, dans les rizicultures. Durant treize ans, le père Pedro participe aux travaux communautaires et tombe malade : amibes, paludisme… "Je tenais à peine debout, je n'en pouvais plus !" se souvient le missionnaire à l'emblématique barbe blanche. Il demande en 1989 à quitter le pays, mais la congrégation lui propose de former les séminaristes à Tana, la capitale.
Il n'en bougera plus, tombant, lors d'une visite à des malades, sur un millier d'enfants qui vivaient sur la décharge municipale. L'un d'entre eux se souvient : "Quand on a vu arriver ce mzungu ("Blanc"), en moto, avec une queue-de-cheval, on a cru qu'il venait voler notre cœur et on s'est enfui." Mais le drôle de curé revient, gagne la confiance de Liva, qui arrête de fouiller dans les décombres et intègre une école construite sur place. Aujourd'hui, l'ancien glaneur est prof de maths et voue, comme tous les Malgaches, une reconnaissance et une admiration sans faille à l'ecclésiastique.
Il a aidé quelque 500 000 Malgaches
À l'époque, le père Pedro convainc 70 familles de quitter l'enfer pour devenir paysans à 60 kilomètres de la ville. Avec l'aide de bénévoles malgaches, il y bâtit un village, offrant à chacun des semences, un cochon et des poules pour démarrer. En 1989, il fonde l'association humanitaire Akamasoa et propose aux plus pauvres de construire eux-mêmes leur maisonnette, d'abord en bois, puis en brique, payés par l'association. En même temps, il les nourrit, les éduque et les soigne. En trente ans de labeur quotidien, le prêtre, constamment entouré d'enfants, est venu en aide à 500 000 Malgaches. Il a suivi les familles de génération en génération, devant même ériger quatre maternités et autant de cimetières… Aujourd'hui, près de 30 000 personnes vivent dans un des 22 villages d'Akamasoa, payant un loyer mensuel de deux euros, à la condition de scolariser leurs enfants et "de ne pas vendre de la drogue ou de l'alcool frelaté". Les villages sont propres, une atmosphère sereine s'en dégage. De quoi susciter des convoitises. "Il y a cinq ans, raconte le curé, des bandits armés de kalachnikovs ont voulu nous dévaliser en pleine nuit. Les habitants, avec des balais et des pierres, les ont mis en déroute !"
Les grandes ONG ? "Trop de paperasse !"
Cette année, plus de 20 000 jeunes sont scolarisés en primaire (l'État malgache prend en charge une partie des salaires des enseignants), et 17 000 à l'université d'Akamasoa. "Chaque semaine, on achète dix tonnes de riz pour la cantine", comptabilise le prêtre qui gère jusqu'aux moindres détails, inspectant les chantiers en cours toutes les semaines. Comment l'association se finance-t-elle ? Les grands organismes internationaux demandant "trop de paperasse", l'aumônier préfère faire appel aux seuls dons de particuliers. Pour quel budget ? Secret du confessionnal. Lorsqu'on évoque un éventuel manque de transparence, le septuagénaire charismatique s'emporte, tape du poing sur la table, parle de concept "occidental", inapplicable à Madagascar. Tout en remerciant les donateurs, il souligne qu'ils "ne se privent ni de leurs vacances ni du superflu", lui qui vit dans une petite maison sans eau courante. Le père Pedro, qui s'est d'ailleurs rendu le 2 juin dernier en France et en Belgique, pour présenter son association et collecter des dons, s'excuse s'il se montre parfois "un peu exalté". Il est volontiers pardonné.