À Madagascar, la crise alimentaire prend des allures de crise humanitaire
La sécheresse et les retombées de la guerre en Ukraine aggravent la crise sur l’île rouge.
Publié le 19-06-2022 à 16h18 - Mis à jour le 19-06-2022 à 16h19
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La priorité de l'État de Madagascar est de sauver la population de la famine." La déclaration du président Andry Rajoelina, sur son compte Twitter en 2020, donnait l'ampleur de l'urgence dans le pays. Le kere, la famine en malgache, représentait déjà un véritable fléau sur la cinquième plus grande île du monde. Il a été exacerbé par le déclenchement et les conséquences de la guerre en Ukraine.
Le blocus de la mer Noire, imposé par la Russie, empêche les exportations de céréales ukrainiennes, notamment vers le continent africain. Madagascar dépend à 70 % de la Russie et de l’Ukraine pour ses importations de blé. Les problèmes d’approvisionnement et la crise alimentaire ne font donc que s’accélérer. D’autant que certains États exportateurs, comme l’Inde, ont imposé des restrictions, par peur de pénurie dans leurs propres pays.
Facteur supplémentaire d'aggravation : l'absence de mécanisme d'urgence au sein de la communauté internationale pour se préparer à une crise d'une telle ampleur. "On a des crises à répétition. Chaque fois, c'est le même enseignement qui se dégage, mais on n'a jamais voulu en tirer les conséquences", dénonce Olivier De Schutter, professeur à l'UCLouvain et ancien rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation à l'Onu (2008-2014). Quatre à six mois s'écoulent entre le moment où l'appel humanitaire est lancé et le moment où l'aide arrive à destination des populations. L'argent récolté sert à acheter des stocks alimentaires, le plus souvent acheminés par bateau. Arnaud Zacharie, secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD - 11.11.11) propose "un système de gestion unilatérale des stocks alimentaires pour approvisionner les pays les plus vulnérables qui dépendent des importations et font face à des problèmes d'approvisionnement".

Plus de sécheresse, moins de nourriture
Les Malgaches les plus touchés habitent la région du Grand Sud et du Sud-Est. 1,6 million de personnes s'y trouvent en état d'insécurité alimentaire aiguë, selon le Programme alimentaire mondial de l'Onu (Pam). En effet, les risques de malnutrition aiguë y sont plus élevés ou supérieurs à la normale. Le réchauffement climatique est passé par là. "Les chocs climatiques réduisent évidemment la capacité des pays de produire pour satisfaire leurs besoins et accroissent leur dépendance aux importations de blé à moyen terme", explique Olivier De Schutter.
Madagascar a connu, en 2021, la pire sécheresse en termes de fréquence et d’intensité depuis 1981. Les trois dernières années consécutives de sécheresse ont affecté les récoltes et les moyens de subsistance des paysans.
Cette crise alimentaire de plus en plus sévère risque de déboucher sur une crise humanitaire à grande échelle sur l'île rouge, surnommée ainsi pour la couleur de la terre. Il y a un peu plus d'un an, en mai 2021, plusieurs instances internationales, comme le Pam, avaient déjà tiré la sonnette d'alarme. "Les droits de plus d'un million de personnes sont menacés dans le sud de Madagascar où des milliers de personnes risquent de souffrir d'inanition et plus d'un million n'a pas accès à de la nourriture en quantité suffisante", a alerté Tamara Léger, conseillère à Amnesty International, dans la Tribune de Madagascar du 25 mai 2021.
Des solutions existent pour atténuer le phénomène, en particulier l’agroécologie, une pratique agricole qui favorise le potentiel des différents écosystèmes et surtout l’abandon des engrais chimiques, des pesticides et des insecticides.
Mais, à plus court terme, le cinquième pays le plus pauvre dans le monde (531 $ de PIB par habitant) a besoin d'une aide financière urgente et de politiques régionales de coopération, d'après Arnaud Zacharie. "C'est une manière de renforcer la souveraineté alimentaire de ces pays-là, c'est-à-dire leur capacité de produire pour leur propre population."