L’est du Congo au bord de l’explosion
Au Nord-Kivu, la population se mobilise contre la Monusco, l’East African community, le M23 où les Rwandais.
Publié le 07-02-2023 à 14h08
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”Un nouveau mouvement de colère a poussé une manifestation de quelques centaines d’individus vers la grande barrière, la frontière, ici à Goma, avec le Rwanda. Quelques coups de feu de sommation les ont arrêtés mais un jour, ça va mal tourner”, prévient Achille Nyamwisi, commerçant d’une bonne soixantaine d’années dans la région de Goma.
Depuis ce week-end, Goma, la grande ville de la province du Nord-Kivu, est traversée par une nouvelle succession de manifestations. Le collectif des mouvements citoyens de la province, qui, comme sa voisine de l’Ituri, est toujours en état siège et donc gérée par un gouverneur militaire, a appelé à une série de journées ville morte. Des journées où la plupart des activités économiques sont à l’arrêt. Une fois de plus, dans une ville sous pression, l’action de ce lundi a viré à des manifestations avec pneus brûlés, routes jonchées de pierres ou barrées par toutes sortes d’obstacles improvisés.
Goma sous haute pression
Depuis des semaines, les habitants de cette grande ville de l’Est vivent sous la menace de l’arrivée des rebelles du M23. “Ces rebelles se baladent dans la région. Ils ont démontré qu’ils pouvaient avancer à peu près comme ils le veulent”, explique un ancien membre du mouvement Lutte pour le Changement (Lucha) qui avoue “ne plus avoir le courage de se battre quand on voit qu’on est seul et avec des moyens dérisoires”.
Ici, les manifestants de ce lundi ont crié leur colère contre la mission des Nations unies (Monusco), mais aussi contre les troupes des contingents de l’East african community (EAC) “venus sur le territoire congolais pour mettre fin aux activités du M23. Or, on ne les voit pas au front. Ils paradent en ville mais ils doivent être avec nos soldats des Forces armées congolaises en premières lignes”, explique un autre commerçant de Goma qui insiste sur les images qui circulent depuis ce week-end sur la toile. Une séquence sur laquelle on peut voir le président congolais Félix Tshisekedi – pourtant à l’initiative de l’arrivée de ces troupes régionales – interpeller un haut gradé kényan pour lui demander de ne pas pactiser avec les hommes du M23 et de se battre au côté des soldats congolais.
Des images qui ont renforcé la conviction de nombre de Congolais que ces troupes voisines n’en faisaient vraiment pas assez pour lutter contre ces rebelles, certains n’hésitant pas à évoquer des accords tacites entre ces acteurs pour affaiblir le Congo. La fameuse théorie de la “main noire” souvent ourdie pas les autorités congolaises pour tenter d’expliquer leur impuissance.
Dans ce contexte, le sommet extraordinaire des chefs d’États de l’EAC de Bujumbura ce samedi n’a fait qu’envenimer la tension avec un communiqué final bien en deçà de ce qu’espéraient les Congolais qui de négociations en sommets régionaux entendent parler de cessez-le-feu et de retrait de tous les groupes armés, sans qu’il n’y ait jamais la moindre amélioration sur le terrain et sans que les différents dispositifs militaires envoyés dans la région ne paraissent capables d’enrayer la progression des rebelles.
Sur le terrain, face à ces tensions répétées, face aux mouvements hostiles de la population congolaise, la Monusco pourrait être tentée – certains mouvements semblent l’attester – de s’éloigner de Goma pour se replier un peu plus au sud sur Uvira. Plusieurs dizaines de policiers onusiens y sont déjà arrivés. ” C’est un comble, la Monusco qui est au Congo pour protéger la population se met à fuir certaines villes parce qu’elle se fait caillasser par cette même population”, explique un observateur installé dans la région depuis de longues années. “Du coup, ces troupes sont encore moins efficaces et donc plus facilement critiquées et prises pour cible par les Congolais eux-mêmes. C’est un cercle pernicieux”.
Dos-à-dos
Ce lundi, l’ONG Human Rights Watch a sorti un rapport qui accuse le M23 d’exécutions sommaires et de recrutement forcé de civils. Parallèlement, l’ONG américaine stigmatise aussi le fait que l’armée congolaise continue de collaborer avec “des milices à caractère ethnique responsables d’exactions”. “Le Rwanda devrait mettre fin à son soutien militaire au M23, tandis que les troupes gouvernementales congolaises devraient donner la priorité à la protection des civils et cesser de recourir à des milices responsables d’abus comme forces supplétives”, demande Thomas Fessy, chercheur principal sur la RDC pour HRW.