”Le président tunisien est dans une panique totale”
Le président tunisien est “dans l’impasse” dans sa “dérive autoritaire illégale”, alors il se lance dans la répression de ses opposants, selon l’ex-député Sofiane Makhloufi.
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Publié le 16-02-2023 à 18h44 - Mis à jour le 17-02-2023 à 15h13
”Kaïs Saïed est dans une panique totale. Il a essuyé un échec aux législatives et il se rend compte qu'il ne parvient pas à mener à bien son processus politique ni à résoudre la crise économique et financière de la Tunisie. Alors il passe à une phase de répression de ses opposants”. Sofiane Makhloufi, un ex-député élu en 2019 à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), fait partie des nombreux détracteurs du président de la République, qui s’enferre depuis plus d’un an et demi dans une “dérive autoritaire illégale”.
Cet ancien membre du Courant démocratique (Attayar), une formation sociale-démocrate qui avait obtenu 22 sièges à l’ARP, fait aujourd’hui partie d’un collectif de militants indépendants qui tente d’élaborer des solutions pour résoudre la crise politique, économique et sociale, en construisant des convergences entre les différents partis et mouvements d’opposants au chef de l’État. Le responsable de cette plateforme de réflexion, nommée Joussour (ponts, en arabe), le politologue Khayam Turki, fait partie des personnalités arrêtées le week-end dernier. Il y a quelques années, son nom avait circulé pour le poste de Premier ministre. “Son arrestation correspond à une tentative de donner un coup d’arrêt à notre travail. Mais nous allons le poursuivre, au risque que d’autres personnes soient arrêtées à leur tour”, affirme M. Makhloufi.
Le scénario du complot
Dans ce coup de filet figurent aussi des figures politiques bien connues, comme Nourredine Bihri (déjà interpellé l’an dernier), ou des médias, comme le directeur de Mosaïque FM, la radio la plus écoutée du pays. Pourtant, “les accusations sont farfelues et peu claires, les dossiers sont vides et prêtent même à sourire”, souligne Sofiane Makhloufi. Pour lui, cette phase répressive traduit le “délire de persécution” de Kaïs Saïed et de ses partisans, qui ne veulent surtout pas “perdre la main sur les rouages de l’État”. “Alors, le président tente de justifier ces arrestations en avançant le scénario d’un complot dirigé contre la Tunisie et qui l’empêche de réformer l’État”.
Kaïs Saïed a peu à peu confisqué l’ensemble des pouvoirs à son profit depuis le 25 juillet 2021 et tente de refaçonner à sa manière le régime politique tunisien. En août dernier, une nouvelle Constitution -adoptée à 94 % mais avec une participation de 30 %- concrétisait sa vision d’un régime de type présidentiel au détriment d’un système parlementaire, institué par la Constitution de 2014 (au terme de deux ans de réflexion) mais responsable selon lui de nombreux blocages. La création d’une seconde assemblée, mettant en avant les régions et permettant d’équilibrer celle du peuple, va dans le sens d’une démocratie plus directe, où le peuple aurait selon lui “vraiment le pouvoir”, mais dont les contours restent flous.
Record du monde de l’abstention
Mais en décembre et janvier derniers, les Tunisiens ont massivement boudé les deux tours de “ses élections législatives”, ironise Sofiane Makhloufi, à plus de 88,5 %… Un échec cinglant qui a résonné de manière très dommageable sur la scène internationale, la Tunisie s’illustrant comme le pays détenteur du très peu envié record du monde de l’abstention. Tant et si bien qu’un peu partout dans le monde, de Bruxelles à Washington, l’inquiétude grandit face à l’évolution de la situation dans le berceau des printemps arabes.
Mardi, le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a exprimé “sa préoccupation face à l’aggravation de la répression contre ceux qui sont perçus comme des opposants politiques et la société civile”, tout en pointant les “mesures prises par les autorités qui continuent de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire”.
Selon Sofiane Makhloufi, cette tournure répressive était prévisible. “Après le coup d’État du 25 juillet 2021, nous avions dit parmi d’autres démocrates tunisiens qu’une fois que M. Saïed en aurait terminé avec sa feuille de route, il passerait à la répression politique. Simplement parce qu’il est intolérant à toute contradiction. Pour l’avoir rencontré longuement, je peux dire qu’il est incapable d’écouter des propos qui vont à l'encontre de sa conviction. Il se croit investi d’une mission divine”. Et d’entrevoir le pire car “aujourd’hui, il sent que dans la classe politique, dans une bonne partie de la population, et même dans l’appareil de l’Etat, beaucoup ne veulent plus de lui”.