Au Sénégal, l'opposant politique Ousmane Sonko, condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse
Jugé pour viols et menaces de mort présumés, l'opposant a été condamné jeudi 1er juin à deux ans de prison ferme pour “corruption de la jeunesse”. Un verdict qui le rend inéligible à l’élection présidentielle de février 2024.
- Publié le 01-06-2023 à 20h12
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Le climat de tension qui règne sur Dakar, la capitale du Sénégal, depuis le début de la semaine s’est accentué à l’annonce du verdict, ce jeudi 1er juin, du procès pour viols et menaces de mort présumés à l’encontre d’Ousmane Sonko. Le principal opposant politique et chef du parti Pastef (Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) a été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison ferme pour “corruption de la jeunesse”. Il a cependant été acquitté de viols et menaces de mort. Ce dossier défraie la chronique depuis plus de deux ans et oppose le politicien à Adji Raby Sarr, ancienne employée du salon de massage “Sweet Beauty” qui l’accuse de l’avoir violée à cinq reprises entre 2020 et début 2021 alors qu’il venait se faire masser pour soigner des maux de dos.
”Il n’y avait pas de doute sur l’accusation de viol, ce n’était qu’un prétexte pour arrêter Sonko. Nous savions que l’objectif du pouvoir était de l’éliminer de la course à la présidentielle. Ils ont réussi leur plan politique”, a réagit Me Bamba Cissé, avocat d’Ousmane Sonko. De fait, avec cette condamnation, le candidat déclaré à l’élection présidentielle de février 2024, perd son éligibilité. Très populaire auprès de la jeunesse sénégalaise pour ses discours patriotiques, anticorruption et contre les élites, Ousmane Sonko, qui était arrivé 3e à l’élection présidentielle de 2019, rejette depuis le début ces accusations et dénonce un “complot politique” destiné à l’écarter de la course à la présidentielle.
Un 3e mandat pour M. Sall ?
À 8 mois de ce rendez-vous politique, le président Macky Sall entretient le doute sur son éventuelle candidature à un troisième mandat. Il est accusé par l’opposition ainsi que la société civile de vouloir écarter tout candidat sérieux de l’opposition à cette course à la présidence.
De son côté, le gouvernement parle d’une affaire privée et dément toute instrumentalisation de la justice. La propriétaire du salon de massage, Ndeye Khady Ndiaye, a également été condamnée à deux ans de prison ferme pour “incitation à la débauche”. Les deux condamnés doivent s’acquitter de 600 000Fcfa (914 euros) d’amende chacun ainsi que de 20 millions de FCFA (30 500 euros) de dommages et intérêts, solidairement.
Jugé par contumace (absent de l’audience du 23 mai dernier), Ousmane Sonko pourrait faire appel de la décision s’il se constituait prisonnier. Une option d’ores et déjà rejetée par Me Cissé.
Pour la partie civile, c’est un verdict en demi-teinte. “Nous allons nous concerter pour voir si nous faisons appel : Adji Sarr a subi pendant deux ans des attaques et des injures, cela mérite plus que deux ans de prison !”, a assuré Me El Hadj Diouf, avocat de la plaignante qui s’est dit “pas totalement satisfait”, lui qui attendait une peine de dix ans de prison ferme pour viol, fidèle au réquisitoire du Procureur de la République.
Reprise des violences
Quelques heures après l’annonce du verdict, des heurts et affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants ont éclaté aux abords de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Jets de pierre contre gaz lacrymogènes, des jeunes militants ont bloqué les accès à l’université et incendiés des pneus. Des bus, des voitures et des bâtiments ont été incendiés tandis que des scènes de saccages étaient observées dans différents quartiers de Dakar, ainsi qu’en banlieue. Une contestation qui a également touché les régions où des manifestations ont éclaté à Mbour, Saint-Louis et en Casamance notamment. “Ce verdict est une honte pour le Sénégal : Ousmane Sonko est condamné pour corruption, cela n’a rien à voir avec l’affaire de viol !” s’agace Vito, militant Pastef âgé de 32 ans. Furieux de cette “justice instrumentalisée”, il assure que “la jeunesse est prête à faire face et à aller jusqu’au bout pour ne pas laisser Macky Sall faire ce qu’il veut et pour sauver notre avenir”. Des violences qui risquent encore de s’accentuer si Ousmane Sonko venait à être arrêté, ce qui peut survenir à tout moment. Arrêté depuis dimanche 28 mai alors qu’il se rendait à la capitale avec sa “caravane de la liberté”, un convoi populaire parti de Ziguinchor (sud du pays), Ousmane Sonko est depuis assigné à résidence illégalement à Dakar. Ses avocats, ainsi que des députés de l’opposition, qui avaient tenté de lui rendre visite, ont été repoussés par des gaz lacrymogènes en début de semaine.
En réaction, le Pastef a dans un communiqué daté du 1er juin, appelé à une “mobilisation, partout au Sénégal et dans la diaspora pour combattre par tous les moyens” et faire face aux “dérives dictatoriales et sanguinaires du régime de Macky Sall”. En mars 2021, l’interpellation d’Ousmane Sonko sur le chemin du tribunal dans le cadre de cette affaire avait déclenché pendant plusieurs jours de violentes émeutes, provoquant le décès de quatorze personnes et d’importants saccages dans le pays.