Les Tunisiens ne pâtiront pas de la "guerre du pain"
Après une brève privation, toutes les boulangeries disposeront de farine subventionnée. Mais la Tunisie sera encore plus dépendante de ses importations de céréales.
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- Publié le 22-08-2023 à 20h18
- Mis à jour le 22-08-2023 à 20h19
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Le gouvernement tunisien a peut-être évité le pire. Il a décidé le week-end dernier de réinstituer l’approvisionnement des boulangeries non étatique en farine subventionnée, trois semaines après l’avoir supprimé. L’accord trouvé entre le ministère du Commerce et les représentants de cette filière est présenté comme un début de solution face à une situation qui s’était tendue depuis le début du mois, provoquant des pénuries de pains à bas prix. Le 1er août, un décret présidentiel avait supprimé le quota de farine alloué depuis une dizaine d’années au réseau de boulangeries dites “modernes”. Kaïs Saïed, qui entend réformer la Tunisie depuis son coup d’État institutionnel d’il y a deux ans, avait critiqué la coexistence d’un “pain pour les riches” et d’un “pain pour les pauvres”, préconisant l’idée d’un “pain unique”.
Cet aliment de base par excellence – chaque Tunisien en consomme 74 kilos par an (200 grammes par jour)- est un sujet très sensible. Surtout dans le contexte inflationniste actuel, qui se superpose à l’augmentation du coût de la vie et à la paupérisation de la classe moyenne observées suite à la révolution de 2011. Le pain en Tunisie est préparé dans deux filières : la première, constituée de 3737 enseignes, bénéficie de farine subventionnée fournie par l’État ; la deuxième rassemble environ 1 500 boulangeries “modernes”, qui vendent leurs pains (et leurs pâtisseries) plus cher mais qui bénéficient également d’un quota limité de ce type de farine pour proposer un pain au tarif plancher. La suppression du quota en question avait mené à un sit-in de protestation et à la fermeture de neuf de ces enseignes sur dix, selon un responsable de cette filière qui emploie quelque 20000 personnes.
En réinstaurant ce quota, la Tunisie échappe peut-être à de nouvelles “émeutes du pain”. Celles d’il y a quarante ans, déclenchées par des augmentations des prix, avaient profondément marqué le pays, provoquant la mort d’au moins septante personnes – sinon le double.
Perturbations et dépendance
La décision initiale de ne plus approvisionner les boulangeries “privées” n’est pas étrangère aux perturbations du marché mondial des céréales, aux difficultés d’approvisionnement et à la spéculation induites. D’ailleurs, la quantité de farine subventionnée non allouée dès le début du mois avait directement été redirigée vers le réseau des boulangeries “semi-étatiques”. Ce qui avait causé un allongement des files devant ces artisans, les seuls alors à vendre la fameuse “baguette subventionnée” à 6 centimes d’euro.
Dépendante à plus de 60 pour cent d’importations de céréales pour sa consommation nationale, la Tunisie subit comme d’autres pays de la région les conséquences de la guerre menée par la Russie en Ukraine. La fin de l’accord céréalier permettant les exportations ukrainiennes va encore perturber son approvisionnement -Kiev pèse environ la moitié des importations tunisiennes de céréales. Or, la dépendance de Tunis aux importations devrait s’accentuer rapidement en raison d’une sécheresse record qui a dévasté ses propres cultures.
Remise à plat
La situation financière délicate du pays – Tunis, très endettée, négocie toujours une aide avec le Fonds monétaire international- explique aussi ses problèmes d’approvisionnement en céréales. Selon une étude sur la sécurité alimentaire de la Tunisie, présentée ce lundi par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la guerre en Ukraine a encore aggravé les répercussions économiques, commerciales et financières de la pandémie de Covid-19 pour la Tunisie.
”La situation alarmante des finances publiques a fait que l’État trouve des difficultés à honorer ses engagements auprès des producteurs nationaux ou des fournisseurs internationaux qui rejaillissent sur tout le secteur et créent des pénuries qui contribuent à favoriser l’envolée des prix et la spéculation… La progression inquiétante de l’inflation à deux chiffres des denrées alimentaires constitue une menace pour la sécurité alimentaire et la consolidation de l’effectivité du droit à l’alimentation”, écrivent les auteurs de l’étude. Le gouvernement l’a sans doute perçu : en rétablissant les quotas supprimés, il a aussi promis une remise à plat de tout le secteur du pain.