Putsch au Gabon : la plupart des rebelles sont souvent “des corps d’élite formés par l’Occident”
Suscitant la surprise ce mercredi, une douzaine de militaires de la garde républicaine du Gabon ont annoncé mettre “fin au régime en place” dans une déclaration sur les écrans de la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même de la présidence d’Ali Bongo.
- Publié le 30-08-2023 à 17h21
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Suite à l’annonce des résultats des dernières élections qui reconduisaient Ali Bongo à la présidence pour un troisième mandat consécutif, les militaires putschistes ont estimé que l’organisation de ces élections n’a “pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais”. Ils dénoncent “une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos”. De son côté, le président Ali Bongo, placé en résidence surveillée, appelle “tous” ses “amis” à “faire du bruit” dans une vidéo publiée il y a peu sur les réseaux sociaux.
Directeur de recherche au CERI-Sciences Po, Luis Martinez nous livre son analyse de la situation
Ce coup d’État survient en réaction à un monopole du pouvoir depuis 55 ans par la famille Bongo, selon les déclarations des militaires. Que vous inspirent ces justifications ?
Ce putsch est très surprenant parce qu’il provient de la Garde Républicaine, une partie de l’armée qui est associée à la protection du régime. Donc ce qui est clair, c’est que ce qui avait été autorisé sous le père Bongo pendant une quarantaine d’années, c’est-à-dire un partage assez limité et contrôlé du pouvoir et de la richesse, n’est plus accepté aujourd’hui pour son fils. Sans doute l’erreur d’Ali Bongo a-t-elle été de croire qu’il pouvait poursuivre ce type de contrôle du Gabon sans mesurer le fait que des transformations à l’intérieur de son pays amenaient peut-être à un partage plus généreux.
Quels sont, à la différence du père Omar Bongo, les éléments qui font qu’aujourd’hui le Gabon n’accepte plus cette situation ?
On voit bien que le Gabon est resté concentré autour d’un certain nombre de secteurs notamment celui du bois et de l’énergie avec, essentiellement, deux partenaires importants : la France, comme premier fournisseur et la Belgique en deuxième. Au regard de l’importance récente de la Chine et de la Russie sur le territoire, on peut tout imaginer. Il y a peut-être de la part de militaires des volontés d’avoir plus de partenaires commerciaux, d’ouvrir le Gabon au reste du monde afin de pouvoir en profiter davantage.
C’était quelque chose de prévisible, selon vous ?
Au contraire, le Gabon fait des parties des pays dans lesquels on pensait qu’il y aurait de la stabilité. D’autant plus que ce coup d’État arrive au lendemain d’un discours du président français soulignant une épidémie de putschs sur le continent. Je ne pense pas que du côté de l’Élysée on imaginait un seul instant que ça pouvait arriver au Gabon. On était plutôt inquiet pour le Tchad ou le Sénégal, par exemple.
Quels liens peut-on établir entre ce coup d’État et l’épidémie de putschs en Afrique ?
Il n’y a pas au Gabon, de menace djihadiste comparable à celle qu’on a au Sahel ou en Afrique de l’Ouest. Il n’y a pas de groupes armés ou des bandes criminelles comme dans toute la zone sahélienne et dans le Golfe de Guinée. Ici, les militaires mettent en avant la dégradation de la cohésion sociale. On a le sentiment que c’est un coup d’État au sein de la gouvernance de l’État gabonais par rapport à la répartition des richesses et du patrimoine de l’État. Sans doute qu’une partie de cette garde républicaine n’a pas obtenu ce qu’elle souhaitait d’Ali Bongo en suffisance.
Quel impact est-ce que ce putsch pourrait avoir sur les pays limitrophes ?
Comme précédemment expliqué, le Gabon est un des pays qui jusque-là n’était “menacé” par un putsch puisque les violences djihadistes sont inexistantes. Cela signifie pour beaucoup de régimes de la région y compris les régimes autocratiques, qu’il y existe malgré tout des militaires qui aspirent à diriger ces pays et à surmonter les familles régnantes qui les gouvernent. On pense notamment au Cameroun ou encore au Tchad.
À quel sort Ali Bongo peut-il s’attendre ?
Pour l’instant, on a très peu d’informations là-dessus, si ce n’est que sa résidence a été mise sous surveillance. On peut imaginer qu’il va être amené comme les autres présidents à signer sa démission pour permettre à l’ordre institutionnel de fonctionner. S’il le fait, il obtiendra probablement des garanties, en particulier pour sauver son patrimoine financier et immobilier à l’international et obtenir l’exil dans un autre pays. Maintenant, s’il annonce qu’il ne renonce pas au pouvoir, là, on entre dans l’incertitude.
Jonathan Powell, chercheur américain, se disait “certain que les années à venir verront des coups d’État en plus grand nombre que ce à quoi nous nous étions habitués”. Doit-on effectivement s’attendre à d’autres coups d’État en Afrique ? Quels pays seraient susceptibles de vivre la même situation ?
L’intuition de ce chercheur est bien sûr validée. On le voit bien que ce soit au Mali, au Burkina, en Guinée, au Gabon, au Niger. Maintenant, l’inquiétude se porte sur des pays comme le Sénégal, qui est la vitrine occidentale en Afrique en particulier en Afrique de l’Ouest. On peut également s’interroger sur le Bénin, sur le Togo et il faut dire qu’il y a eu beaucoup d’inquiétudes concernant la Côte d'Ivoire. Il faut espérer aujourd’hui que le président Ouattara et d’autres dirigeants, anticipent ce type de menace. Mais très clairement, on peut plus dire qu’il y a des pays dans la région “immunisés” contre ce type d’événement. Si les motifs invoqués ne sont plus de l’ordre sécuritaire mais de l’ordre social, cela ouvre à un champ des possibles assez infini et à toute une série de diagnostics difficiles à établir.
Est-ce qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles le nombre de coups d’État augmente considérablement sur le continent africain actuellement ?
Il y a eu un renouveau des corps militaires dans la région qui, pendant 10-15 ans, ont été accompagnés et formés par les Américains, les Français ou des Européens. La plupart des putschistes, que ce soit au Mali, au Niger, au Burkina, sont d’ailleurs souvent des corps d’élite formés par l’Occident. Puisqu’ils connaissent bien ces puissances, ils trouvent des moyens de considérer qu’au final, on s’accommodera de leur prise du pouvoir. Ce renouveau militaire, avait déjà été observé dans la région du monde arabe mais on ne le suspectait pas en Afrique subsaharienne. Dorénavant, il est clair que nous assistons à un retour des forces militaires au pouvoir politique qui ont pour ambition de remettre de l’ordre, de combattre la corruption et, sans doute, de s’approprier des ressources. Il faut dire que le fait que les milices de Wagner soient sur le continent pousse l’Afrique à penser que si demain l’Occident se montre sévère, d’autres partenaires se présenteront. Il y a suffisamment de pays alternatifs, que ça soit la Russie, la Chine, les pays du Golfe ou la Turquie pour trouver une échappatoire aux menaces occidentales.
L’augmentation des putschs peut-elle être imputée notamment à l’incapacité de l’Occident à prendre des mesures fortes ?
On le remarque, les sanctions punitives n’ont pas d’impact. En réalité, l’Occident est assez démuni face à ce type de changement : il ne peut plus intervenir militairement comme dans le passé parce que les populations ont changé. C’est devenu “incontrôlable” d’intervenir militairement dans des pays qui ont plusieurs millions d’habitants et l’image du passé colonial européen lui porte préjudice. Il ne lui reste plus grand-chose si ce n’est son éthique, ses valeurs et ses discours pour essayer de “sauver” un ordre auquel il est attaché. Malheureusement, force est de constater, ces 30 dernières années, que l’Occident a échoué à rendre cet ordre “suffisamment solide”, dans cette région, pour être capable de résister à ce type de changement brutal de régime.