Inondations en Libye : “Il est clair qu’il y a un lien direct entre le réchauffement climatique et la puissance du cyclone Daniel”
Deux jours après le passage du cyclone Daniel qui a touché l’est de la Libye entre le samedi 9 et le lundi 11 septembre, le monde suit avec effroi le bilan humain qui ne cesse d’augmenter et les images des villes libyennes dévastées. Les effets catastrophiques de ce cyclone inquiètent quant au futur des régions méditerranéennes face à phénomènes naturels de plus en plus puissants.
- Publié le 13-09-2023 à 17h42
- Mis à jour le 14-09-2023 à 10h13
À Derna, ville du nord du pays déclarée sinistrée après le passage de Daniel, quelque 400 millimètres de pluie, l’équivalent d’une année et demie de précipitations, se sont déversés en quelques heures faisant plus de 30 000 déplacés selon l’OIM. L’eau aurait atteint jusqu’à 3 mètres de hauteur suite à la rupture des barrages d’Al-Bilad et de Sidi Boumandou construits en 1986. Deux jours après le passage du cyclone, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge libyen faisait état des chiffres provisoires de 2 800 morts, 7 000 blessés et 10 000 disparus.
Analyse de la situation avec le climatologue à ULiège, Xavier Fettweis.
Le “medicane”, un ouragan méditerranéen
Le phénomène naturel qui a touché la Grèce, la Turquie, la Bulgarie et la Libye s’appelle un “medicane” (une contraction de “mediterranean” et de “hurricane”) explique Xavier Fettweis. “Ce sont des sortes de cyclones tropicaux, sauf qu’à la différence des ceux-ci qui ont “un cœur chaud”, le leur est froid” poursuit-il. Ces systèmes qui naissent au-dessus des mers chaudes génèrent des précipitations extrêmes. “L’automne, c’est la saison des contrastes en Méditerranée parce que la mer est très chaude après l’été, tandis que l’atmosphère commence à se refroidir. À l’origine de Daniel, il y a ce qu’on appelle “une goutte froide” c’est-à-dire une masse d’air très froide en altitude qui est descendue jusqu’à la Méditerranée” explique M. Fettweis. L’augmentation de quatre à cinq degrés de la température de la mer méditerranéenne par rapport à la normale a de surcroît accentué le contraste entre la température de l’altitude, plus fraîche en automne, et la température à la surface de la terre. Plus l’air est chaud à proximité de la mer, plus il peut contenir de la vapeur d’eau. “C’est cela qui a permis au “medicane” Daniel d’absorber de grande quantité d’eau de la Méditerranée. Une fois que cette masse d’air a rencontré les déserts et les quelques reliefs qu’il y avait en Libye, elle s’est entièrement déchargée de son humidité”, explique cet expert.
Le réchauffement climatique, la source du problème
“Il est clair qu’il y a un lien direct entre le réchauffement climatique et la puissance du cyclone Daniel” affirme le climatologue. Les systèmes de dépression tel que celui observé au-dessus de la Libye prennent leur énergie dans la chaleur de l’eau. Or, vu le réchauffement climatique, il faut s’attendre à ce que la température de la mer Méditerranée augmente et donc, à ce que les “medicanes” se montrent de plus en plus violents. “Le rapport du Giec ne prévoit pas nécessairement plus d’événements de ce type mais par contre, quand il y en aura, ils seront beaucoup plus intenses” affirme Xavier Fettweis.
Malheureusement, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas encore capables de prédire la naissance de ces phénomènes naturels aux conséquences catastrophiques. “Une fois qu’on les détecte dans les données satellites, les modèles météo sont assez bons pour les faire évoluer dans l’espace et prédire leurs caractéristiques. Dans le cas du cyclone Daniel, ces outils avaient tout à fait prévu que ce “medicane” allait s’amplifier et gagner de la force. Mais il est difficile d’étudier leur évolution future alors qu’on n’est pas capables de les simuler, de les représenter ou de les faire naître. Peut-être qu’à l’avenir, quand les modèles pourront tourner à une plus haute résolution spatiale, on y arrivera. Pour le moment, ce n’est pas le cas”, explique le climatologue.
À la question de savoir si l’on doit s’attendre à des conditions similaires en Europe ou en Belgique, M. Fettweis se montre rassurant. “Actuellement la question ne se pose pas. Après, il est vrai qu’on a observé ces dernières années des cyclones qui naissaient au large du Portugal dans des eaux qui normalement ne sont pas propices à leur naissance puisqu’elles sont trop froides. Mais les connaissances actuelles ne suggèrent pas que de telles dépressions puissent naître près de l’Angleterre, par exemple, pour ensuite arriver en Belgique” conclut-il.
Les deux derniers “medicanes” – dénommés Ianos et Apollo – datent de 2020 et de 2021. En septembre 2020, Ianos avait fait de nombreux dégâts sur l’île de Céphalonie (Grèce). Apollo, quant à lui, avait provoqué des inondations en Tunisie, en Algérie, en Italie et à Malte.